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  • Sam 20 Avr 2024 - 21:55


    Le soir du 30 décembre, Siame, pelotonnée devant la minuscule fenêtre de l’infirmerie du monastère, lit le Royaume des Cieux : Histoires ou Contes Inspirés du Divinisme, sans auteur, à la lueur de la lune. Dans ces contes, on ne parle que de victoires, jamais de défaites. Siame bat des cils pour percevoir les mots sur le papier. Elle aurait certainement dû allumer une bougie ou une lampe à huile, comme tous les mortels, mais il semble qu’elle cherche à se contenter de sa propre lumière. Elle la trouve reposante, moins agressive. Et surtout, elle se réjouit de l’avoir enfin retrouvé—qu'elle ne soit plus ternie par le marbre dans lequel on l’a enfermée. Cela fait cinq mois que la guerre a éclaté, quatre qu'elle est terminée et une semaine (ou 5 000 ans) qu'elle attendait ce moment.

    Dehors, il neige, et l’horizon est beau. Dévasté, charrié par les conflits, mais d’une beauté antalgique, inspirante, comme seule la nature sait l’être lorsqu’elle reprend possession du Monde. La guerre n’avait pas tout ravagé, pas tout à fait. Le petit monastère à la frontière de Shoumei, flirtant le col d’une montagne, semblait n’avoir été qu’à peine ébranlé par la barbarie sans nom des derniers événements... Les Titans étaient revenus, certes. Ils avaient déchaîné leur colère toute-puissante sur les mortels, sans qu’on en connaisse réellement la raison – comme s’ils avaient eu besoin d’une raison –, admettons. Cela ne changeait rien au fait que, pour elle, leur retour avait été synonyme d’une liberté enfin retrouvée. Évidemment, la première chose que l'Ange avait faite avait été de partir à la recherche de ses ailes. Ses putains d’ailes. Et c’était ce qu’elle continuerait à faire d’ailleurs, les mois suivants. Toute jolie soit-elle, aussi invinciblement angélique sa petite gueule eut-elle été, son éclat irradiant de nouveau : sans ses ailes, l’Ange n’était véritablement que l’ombre d’elle-même. L’idée de se ranger sans les avoir trouvées lui était parfaitement insupportable. Par réflexe, comme une dette qu’elle se devait de payer à l’équilibre céleste, Siame passa ses ongles sur ses omoplates, arracha les bandages et redessina compulsivement les plaies qui s’y trouvaient. Elle n’a plus mal, quand elle le fait. Son esprit grouille de réminiscences noires. Tout ça se répète comme un chuchotis inlassable, perfide, qu’elle musèle sous son crâne. Elle ne dit rien à ce propos. Ne dira jamais rien : c’est en taisant les choses qu’on les prive de leur éternité—faute de mieux.

    Deux petits coups retentissent à la porte de l’infirmerie : on frappe exceptionnellement, parce que c’est une femme, et que par ici, il n’y en a jamais—elles ne sont habituellement pas autorisées dans l’enceinte du monastère, encore moins invitées à rester. Le frère Hugues passe la porte avec une pointe d’appréhension. Il n’aimait pas se trouver près d’elle, il devenait instantanément nerveux, se retrouvait un peu bête à chaque fois qu’elle le dévisageait avec son regard de silex. Elle restait silencieuse et il se prenait à se lancer dans de grands soliloques idiots, comme un pauvre loser pour combler le silence. Il n’avait jamais su parler aux femmes. N’avait jamais su quoi leur dire. Mais ses craintes importaient peu, car le Père Supérieur lui avait confié une mission.

    — Vous êtes réveillée ? Vous ne devriez pas être levée, vous avez encore besoin de repos...

    Elle était arrivée au petit monastère une semaine auparavant, dans un sale état. À vrai dire, c’était un miracle qu’elle tienne déjà debout. Le Père Supérieur avait accepté de la recevoir (parce qu’elle n’était pas tout à fait comme les autres, elle était la création des divins même privée de ses ailes), et lui avait donné à lui, la charge de s’occuper d’elle et de panser ses blessures. Le moine venait chaque soir, depuis une semaine, un peu avant l’heure du coucher à 19h30. Il se lèverait exactement à 23h30 pour une prière solitaire dans sa cellule, puis retrouverait ses frères à l’église à l’heure des Matines. Comme tous les jours, sans exception, depuis qu’il avait rejoint l’ordre monastique, au service du culte des Divins.

    En entrant dans l’infirmerie, il alluma les bougies pour éclairer la pièce – pourquoi Diable ne l’avait-elle pas fait ? –, et réalisant que sa patiente avait retiré ses pansements et que les plaies dans son dos – les plus profondes – s’étaient rouvertes, se précipita vers elle. Il approcha ses mains – fébriles, maladroites, comme à chaque fois qu’il devait le faire pour elle – histoire de constater l'étendue des dégâts. Un éclat compatissant s'empara de ses pupilles devant les malheurs tus qu’il soupçonnait alors. Jamais ne lui vient à l’idée qu’elle ait pu noircir elle-même son âme.

    Cessez de trembler, s’il vous plaît – locution accessoire –, vous me chatouillez. Une pause. Et cessez de me regarder de la sorte. La pitié me hérisse le poil, c’est pénible. Vraiment.

    Elle parle. Pour la première fois, elle lui parle, les yeux toujours rivés sur l’extérieur. Cette femme est un vrai champ de mines, il ne sait jamais comment s’y prendre avec elle. Elle l’écrasait d’une hauteur qu’il ne comprenait pas vraiment—réduisant à néant son envie de l’apaiser de ses rigueurs. Il bredouilla quelques excuses, puis s’occupa à changer les pansements – qu’elle retirera de toute façon dès qu’il refermera la porte – et remarqua le livre posé sur ses genoux.

    — Vous auriez pu me demander de vous faire la lecture, vous savez…

    Pourquoi ? Je peux très bien lire moi-même. Elle le dit sans venin, comme une évidence, d'une sécheresse qui en aurait découragé plus d’un.

    — C’est ce que nous faisons pour les patients… en temps normal… pour les distraire… Toutes ses phrases restent désespérément en suspens, comme s’il ne savait jamais vraiment quand les terminer, ni où commencer la prochaine. C’est tragique, cette manière qu’il a de trébucher à chaque mot.

    L’Ange ne se donne pas la peine de répondre. Le silence reprend son droit, s’installe entre eux, plus dense que celui dont il a l’habitude à l’office. C’est elle qui choisit de le briser.

    Qui sont-ils ? Sa voix est absorbée par la contemplation.

    Hugues s’approche de la fenêtre, se penche pour regarder dans la même direction qu’elle le fait.

    — Oh, eux ? Un groupe de voyageurs – il tait ce qu’il pense vraiment – ils sont arrivés plus tôt dans l’après-midi. Ils ont demandé le gîte et le couvert, avant de reprendre la route.

    C’est naturellement que l’on leur avait accordé.

    Où vont-ils ?

    — En République, d’après ce qu’il se dit…

    Il les observait avec une espèce de fascination jalouse. Des fois, il aurait aimé être autre chose qu’un moine timide— aurait aimé être un peu moins lui-même. Partir à l’aventure, risquer sa vie trop confortable comme eux le faisaient. Mais il se fourvoyait en rêvant de la sorte : il était trop pétochard pour ça. Et faible. Invariablement. Il n’aurait jamais tenu plus d’une minute avec des types de leur trempe. La perspective de vivre sans jamais rien avoir vécu le terrifie, mais pas autant que celle de crever la gueule ouverte et la gorge grumeleuse, dans le fond un caniveau—sans personne pour venir fermer ses paupières. Seulement la mort sale et poisseuse pour dernière compagne.

    Siame aussi les étudie, depuis tout à l’heure, tapit dans l’ombre de sa petite chambre d’infirmerie. C’était peut-être pour cette raison qu’elle n’avait pas éclairé la pièce. Elle avait remarqué leur nonchalance savamment étudiée, le rôle que chacun semblait occuper, et la main froide, grisâtre, tombée par erreur, d’un cadavre qu’on tasse sous la tente d’une caravane pour le dissimuler. Puis, son attention s’était égarée sur celui au chapeau vissé entre les deux oreilles. Elle avait vu ses lèvres se retrousser sur des dents tranchantes dans un sourire de merdeux, presque grotesque. Il se donnait l’air de ne payer pas de mine, mais Siame n’était pas idiote, c’est bien autour de lui que le petit groupe orbitait. Pendant un instant, son regard – à lui – se tourne vers la fenêtre, et le temps s’étiole. L’Ange n’en est pas certaine, pourtant il lui semble qu’ils se toisent mutuellement (l’a-t-il seulement remarqué ?). Elle se dit alors qu’il pue le crime et l’insolence. Que ses yeux sont intelligents, qu'ils pétillent comme du champagne. C’était peut-être la seule chose de remarquable chez lui : pour le reste, il a tout de l’Homme tel qu’elle le voit.

    — Ils vous gênent ? Moi aussi je n’aime pas trop les savoir dans les parages… Ils m’inquiètent un peu, je dois dire… si vous voulez, je peux demander au Père Supérieur de…

    Je pars avec eux. Le coupa-t-elle, la voix chargée d’une certitude qu’il n’osa pas contredire sur le moment.

    Il resta interdit, papillonna des cils un court instant, la regarda comme s’il la découvrait pour la première fois. Il aurait voulu la retenir—pour une raison qu’il ignore. Parce qu’elle n’a rien à faire avec un groupe de voyous comme celui-là. Sa place est ailleurs, oui. Mais pas non plus ici. Il la voit : elle étouffe dans cette petite chambre.

    — Vous êtes sûre de ne pas vouloir rester plus longtemps ? Il tente quand même. Le Père Supérieur a prévu une fête… pour célébrer la nouvelle année… demain soir…

    À quelle fréquence les gens de passage s’arrêtent-ils au monastère ?

    — Depuis la guerre ? C’est rare… peut-être toutes les trois semaines, voire plus…

    Elle secoue la tête.

    C’est trop long. Je pars avec eux.

    Si elle voulait reprendre la route, c’était maintenant. Siame refusait de devoir attendre encore de longues semaines enfermée dans la petite infirmerie de ce monastère. Hugues, lui, termina de panser ses plaies en silence.

    × × ×

    Il est 0h30 quand les cloches annoncent la fin de l’office des Matines. C’est sur son retour en cellule que son regard s’arrête sur la silhouette fantomatique qui traverse le cloître. Ses lèvres pâlissent. Il se dirige rapidement vers elle.

    — Vous ne devriez pas être ici, souffle-t-il, tout bas, les femmes n’ont pas le droit de…

    Siame s’arrête, se retourne pour lui faire face. Elle porte une épaisse cape de laine blanche, semblable au vêtement monastique. Il y a quelque chose chez elle qu’il n’explique pas.

    Je ne suis pas une femme, frère Hugues. Je suis un Ange. Je vais là où il me plaît.

    Toutes les créatures sont bien petites aux yeux des âmes divines. Et Hugues, lui, ne sent jamais plus minuscule qu’à cet instant, frappé d’un écho vivant qui lui prend la poitrine. Une vague le happa. Il comprend enfin. Cette femme brillait d’un éclat bien au-dessus de celui des Hommes, pour lui qui croyait. Et l’adoration qu’il éprouve jaillit enfin, hurle dans son cœur. La pitié qu’il éprouve à cet instant est très différente de celle qui l’a pris plus tôt : celle-ci le désaltère, le soulage. Le sentiment est humble. Et lui est un doux agneau quand il pose les deux genoux à terre, son corps participant aux sincères intentions de son âme. Il se prosterne et sa bouche embrasse le sol froid devant Elle. Cette fois-ci, il ne trébuche pas.

    × × ×

    “Celui qui pince les lèvres en méditant la tromperie commet déjà le mal.” Elle s’était approchée silencieusement—pas dans le but de le surprendre, mais uniquement car la neige avait étouffé ses pas. Seizième prière monastique, expliqua-t-elle, à de(ux)mi(lles)-mots.

    Ses lèvres s'étaient tordues subrepticement, dans un sourire un peu ironique, en le disant. Au loin, une chouette hulule.

    Elle l’avait trouvé près d’un feu crépitant, qu’ils avaient dû allumer pour la nuit, le sourire tranchant qu'elle lui avait remarqué plus tôt disparu pour laisser place à une expression pensive—l’avait-elle tout du moins cru. Sans prendre la peine de tourner autour du pot, elle enchaîna :

    Avez-vous encore de la place pour accueillir un dernier compagnon de route ?


    CENDRES


    Citoyen de La République
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    Carl Sorince
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  • Jeu 25 Avr 2024 - 19:29
    Passer par Les Rocheuses, traverser la crue du passeur dans un bateau aux airs de radeau, contempler les ruines sinistres d'une capitale ayant un jour commis l'erreur de défier les cieux de sa beauté, emprunter la route descendant vers le Doreï pour le plaisir d’aller se perdre dans les montagnes.
    Des jours de traversée entrecoupés d'affrontements avec ce qui avait, un jour, été les trop fiers représentants de ce pays-carcasse qu’était devenu Shoumeï. Des dizaines d’altercations avec d’autres chanceux fuyards, au détour des routes et des chemins de traverse.
    Et le meurtre systématique des patrouilles Reikoise.
    Oh, que les pins argentés semblaient loin derrière-eux désormais.
    Son regard empoisonné rivé sur le papier d’une carte trop souvent froissée, Carl, le doigt posé sur le triangle gribouillé représentant leur refuge du moment, anticipa pour la énième fois la suite de leur voyage, dans les montagnes.
    L’ironie de la situation, c’était qu’il allait leur falloir côtoyer les cieux quelque temps encore, pour fuir leur colère.
    Un sourire fatigué se manifesta sur son visage et un ricanement peu enjoué filtra d’entre ses lèvres rendues sèches par un début de déshydratation. Ses doigts gantés se refermèrent sur la gourde, à l’arrière de la charrette où reposait le corps de Jotheïm, l’un de ses derniers Sanglots. Un regard dépourvu de la moindre émotion se posa sur le demi-nain, plus gris que blanc, et bientôt plus vert que gris. Le bouchon du réservoir aqueux sauta et le survivant but une longue gorgée, son deuil déjà oublié et son esprit accaparé par l’avenir.
    Shoumeï était morte. De cela au moins, il n'y avait aucun doute. Ceux qui ne fuyaient pas le cauchemar que représentait désormais ce domaine de la pourriture, qu’importe leur dévotion, qu’importe leur moyen, finiraient invariablement broyés et humiliés.
    Et Carl n’avait jamais été du genre à se battre pour les causes perdues.

    “-Y’a que du pain et de l’eau, ici.” Grommela une ombre massive, dès lors qu’il descendit de la charrette, d’un bond sur le sol gelé. La cause de l’éclipse momentanée déposa une caisse -qui semblait minuscule dans ses bras de géant- à l’arrière du véhicule, à côté du cadavre. Carl lui tapota sur l’épaule et grinça :
    “-Il y a des moines, aussi.” Son sourire s’étira et il braqua la pointe de son menton sur un duo de moines voûtés, occupés à tirer l’eau d’un puits gelés.”Certains doivent être relativement gras.
    Le rire que Joshua lui retourna sonna comme le grondement d’un ours.
    “-J’aime pas la nourriture consacrée. Ca m’donne des aigreurs..”
    Carl ricana alors qu’il balayait les environs piteux du regard.
    Aussi bougon le colosse semblait-il être, on pouvait difficilement lui reprocher ses râles du moment. Si le monastère ne semblait pas atteint par le drame ayant détruit le pays, c'était uniquement parce que rien de valeur ne subsistait en ces lieux. Certes, l'architecte à l'origine de cette maison à moine avait eu le mérite de façonner un bâtiment pour le moins imposant, mais des années, des décennies d'intempéries et d'usures avaient terni le tableau. On pouvait, simplement via les grincements provenant du sommet, prédire quand l'heure était venue de sonner la cloche. Le verre de l'une de leur fenêtre avait été remplacé par une planche en bois cloutée pour au moins amoindrir les courants d'air -qui étaient plus que froids ici- et continuer de cacher au monde le quotidien désolant de ses occupants. En ajoutant à cela une neige qui ne cessait de tomber ainsi que l'invitation du Père Sup’ à camper à l'extérieur et la mauvaise humeur de Joshua devenait non seulement compréhensible mais aussi -et surtout- contagieuse.
    Les moines les avaient en effet accueilli avec une absence d'engouement si évidente qu'elle en paraissait grotesque. Un ramassis de vieillards et de lâches, ayant apparemment jugé bon de jurer sur leur vie que jamais ils ne tueraient, baiseraient ou -plus dramatique encore- souriraient au cours de leur courte existence. Tout ça en l'honneur des titans, ceux-là même qui avaient engendré des milliers de fils et de filles puis assassiné un pays entier. A leur arrivée, lorsque les yeux éternellement las des impuissants en bure s'étaient posés sur Mila comme si sa simple féminine présence en ces lieux constituait une atteinte gravissime à leur culte, elle avait suggéré avec un certain engouement de tous les passer au fil de l'épée et de pendre leurs corps éviscérés à leur “putain de clocher”. La proposition, bien que tentante, avait été refusée.
    Mais seulement parce qu’ils manquaient de cordes.
    Pour éviter toute altercation, la tueuse avait passé le plus clair de son temps loin du monastère, laissant aux hommes de la bande la joie d'installer le bivouac. Slick et Ferg s'en étaient plaints. A répétition.
    Darius, toujours sage, s'en était plutôt félicité.
    Mais maintenant, l'heure était au repos. Les tentes, installées au milieu du labyrinthe de ressources et d'armes qu'ils avaient su récolter au cours de leur trop long périple, allaient rassembler l'entièreté des restes de leur joyeuse troupe près des portes des hommes de foi.
    “-Alexey.” Appela le Serpent.
    Le concerné abandonna la partie de carte qu'il disputait avec le vieux de la bande et s'approcha, précédé par le son rauque de son souffle à jamais malade s'écrasant à l'intérieur d'un masque n'étant pas fait pour les vivants.
    Les lambeaux les moins serrés des innombrables couches de tissus recouvrant son corps flottaient au gré du vent telle une pauvre cape, ajoutant un indice de mouvement, de vie, plus que bienvenue pour une chose qui aurait dû être morte depuis longtemps.
    “-Chef.
    -Tu prends le premier tour de garde, comme toujours.” Ledit chef retira son couvre-chef pour se gratter une tignasse que la neige et le froid avaient rendue plus aisée à dresser qu'à l'accoutumée. “Prends le deuxième également. Ne la réveille pas. Tu sais ce qu’elle pense de ces pleurnichards.
    -La même chose que nous tous, chef.”
    Le ricanement de mauvaise augure qui s’extirpa de la gorge du concerné fit sursauter l’un des habitants des lieux alors qu’il se traînait jusqu’au clocher en leur jetant des regards chargés de crainte et de jugement. Bien sûr, on ne pouvait pas exactement dire que les hommes de foi avaient la côte après la punition céleste qu'un peuple entier avait subi sous leur nez. Tous ces charlatans qui s'étaient prétendus -des siècles durant!- les fervents porteurs de la parole divine avaient apparemment oublié de transmettre un message foutrement important à la plèbe : les dieux revenaient, et ils les détestaient.
    Au début du drame, tout le monde avait éprouvé quelques envies de meurtres à l’égard des églises, temples et autres monastères. Mais l'apocalypse avait eu tôt fait de recentrer l'attention de chacun sur sa propre survie. Mais qu'en était-il de ceux qui avaient sacrifié leur instinct de conservation au profit d'une folie sanguinaire? Ils rêvaient simplement de voir un monde où l’air était saturé de cendres de moines.
    “-Et tu sais ce que je leur ferais, si nous avions le temps.
    Le spectre acquiesça silencieusement.
    “-Allez va maintenant.

    ***

    Les heures étaient passées. Le dîner s’était fait à la lueur d’un feu de camp de plus. Contraints de se rationner en prévention de la suite, les Sanglots avaient machonné leur maigre pitance en s’efforçant de trouver en eux assez d’humanité pour adresser quelques mots au macchabée à l’arrière de leur charrette. Ça n'avait pas été une mince affaire. Les rangs jadis garnis des mercenaires à la botte de Carl se voyaient désormais réduits à quelques âmes : Son cercle personnel. Des êtres au cœur aussi sec que ce pain garni de puces gracieusement offert par les moines. Tous les autres étaient morts ou, pire, avaient déserté pour rejoindre leur famille.
    Aucun d’eux ne savaient même pourquoi ils n’avaient pas simplement jeté le cadavre au bord de la route, sitôt son expiration avérée. Habitués à devoir singer un semblant de normalité pour s’assurer la tranquillité, ils avaient simplement reproduit -machinalement- le comportement de n’importe quel vivant à l’égard d’un mort relativement proche.
    Alors, bien sûr, ces quelques mots destinés au macchabée ne pouvaient qu’être d’ordre utilitaire :
    “-Il faudrait le brûler.” Avait lâché Darius en engloutissant ce qui lui restait d’alcool de contrebande.
    “-Trop long à installer.” S’était empressé de rétorquer Slick, les ongles sales de sa main gauche grattant -comme toujours lorsqu’il s’ennuyait- les traces de brûlures défigurant la moitié de son visage. A la lueur des flammes, un essaim de lambeaux de peaux mortes s’extirpaient de chacune de ses griffures et voletait ça et là dans un spectacle répugnant.”On pourrait le laisser aux prêtres. S’il se relève, il en bouffera peut-être deux ou trois.”
    Une foule de rires malveillants s’était aussitôt déversée au sein du campement.
    Au final, aucune décision n’avait été prise. La conversation, comme toujours, déviée et déformée par des propos plus légers, s’était désintéressée du corps gelé à l’arrière de leur propre caravane. Et puis le dîner avait pris fin. Chacun s’en était retourné dans son antre pour arracher aux ténèbres quelques instants de calme avant de sombrer dans le sommeil.

    Maintenant, au coin du feu, le serpent songeait une fois encore à la suite. La fuite du Shoumeï vers la République, en passant par les hauteurs des montagnes, était certes moins risquée qu’une balade en mer. Mais il allait tout de même leur falloir traverser une partie du territoire Reikois. Une escapade qui n’avait rien d’une promenade de santé, surtout si on prenait en compte les risques d’éboulements, les pillards qui erraient immanquablement le long des routes fréquemment empruntées par les réfugiés, les prédateurs nocturnes et les cohortes de non-morts allant de-ci de-là dans le pays dévasté…
    A cela s’ajoutait le manque probable de provisions. Tout au long de leur progression, les Sanglots s’étaient retrouvés forcés de constater que la vie animale se faisait rare, voire inexistante, au sein des Terres Dévastées. Ce qui subsistait s’avérait trop gros et dangereux pour être chassé, et nul lieu de récolte n’avait su survivre à la colère des dieux, si bien que le réapprovisionnement se faisait rare. Leur réserve pouvaient théoriquement tenir, tant que leur vieille carriole maintenait la cadence et que les canassons à l’avant continuaient à faire leur boulot sans fléchir.
    Tant de variables à prendre en compte. Pourtant, Carl ne cillait ni ne tremblait pas. Si une quelconque appréhension troublait son esprit, il n’en laissait rien paraître. Son habituel sourire ancré sur les lèvres, il fixait les ténèbres menaçant de recouvrir le feu mourant, incapable d’éprouver le doute. A quelques mètres de là, assis sur un tronc d’arbre découpé, Darius aiguisait un coutelas à la lame aussi large que ses avant-bras, l’air aussi patibulaire qu’à l’accoutumée. Mila avait disparu dans sa tente, de même que Slick, Ferg ou Joshua.
    Mais Alexey ne dormait pas. Le Spectre veillait, comme toujours.

    Alors, lorsqu'Elle débarqua de nulle part pour citer quelques-uns de ces mots qui avaient tant et si bien abreuvé l’idiote naïveté du défunt peuple de Shoumeï, Carl ne dégaina pas Miséricorde pour lui planter dans la poitrine. En lieu et place, il la salua en retirant son couvre-chef, l’invita d’un geste à s’asseoir près du feu, puis rétorqua, en pinçant ostensiblement les lèvres :
    “-Mais commettre le mal en ces lieux, c’est s’adapter à son environnement.” Un sourire goguenard ponctua sa phrase. Après un court moment de flottement, le mercenaire précisa, en posant une main ouverte contre son propre poitrail. “C’est de moi.
    Un aveu n’ayant rien de surprenant, pour un être qui n’avait jamais su se résoudre à vénérer les dieux plus que lui-même.
    L’intruse s’installa et Darius se redressa d’un bond, les sourcils froncés et son coutelas récemment aiguisé prêt à agir, au cas où.
    A la question qu’elle posa, Carl ne répondit pas de suite, trop occupé qu’il était à tenter de savoir ce qu’un bijoux pareil pouvait bien faire au milieu des traînes savates du monastère. En temps de guerre, il n’y avait bien que des moines aux vœux particulièrement pieux pour laisser une créature telle qu’elle sans tenter de s’approprier un peu de son éclat. Elle était belle, c’était évident. Une beauté un peu trop parfaite, même, si bien que le Père des Sanglots doutait de la véracité de cette vision. Avait-on empoisonné ses songes via une quelconque illusion? Est-ce que la chose qui partageait la chaleur de leur feu se trouvait être en réalité une horrible guenaude amatrice de jarrets humains? Rien n’était moins sûr.
    Et qu’importe, après tout. Si cette créature pensait pouvoir amoindrir son goût pour le meurtre ou endormir la cruauté de ses Sanglots en montrant une frimousse aussi exquise, elle risquait d’être déçue. Dans le doute et dans un clignement d'œil, il déploya son brouilleur magique, simplement pour éviter toute intrusion supplémentaire et chasser les tromperies magiques.

    Rien ne changea.

    La fierté irradiait de cette chose à tel point qu’elle en paraissait palpable. Si la moitié de ce qu’elle montrait était réel, alors son rang -avant la chute du pays- avait dû être haut. On ne pouvait ainsi s’auréoler d’une telle confiance en soi sans avoir connu le respect des lambdas, la haine des pauvres ou la vénération des fous.
    Carl le savait bien, puisqu’il avait choisi la troisième option.
    La laine blanche recouvrant ses frêles épaules semblait se fondre dans la neige parsemant leur refuge commun. Au milieu des silhouettes sombres, drapées de nuit, des Sanglots, son intrusion prenait des airs de sacrilège. Déjà, Carl pouvait sentir la conscience toute relative de Mila s’éveiller à la vue de sa provocante radiance. Elle était tout ce qu’ils s’amusaient à détruire contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Sa grâce angélique attirait le regard des prédateurs de sa meute. Ils s’extirpaient de leur tanière, chacun leur tour, et resserraient les rangs, curieux, mais surtout affamés par cette apparition impromptue.
    L’intruse serait morte en quelques instants si son attitude avait, pendant ne serait-ce qu’un court instant, évoqué un quelconque sentiment proche de la crainte.
    “-Nous avons une place qui vient justement de se libérer.” Grinça-t-il et quelques Sanglots pouffèrent de concert. Des aboiements de hyène curieuses, rôdant dans le noir autour d’un animal qu’elles ne parvenaient pas encore à identifier comme une proie.”Je m’appelle Carl et vous vous trouvez au milieu de mon humble troupe.” Brutalement, il projeta son regard à la rencontre du sien, à la recherche d’un indice de duplicité.
    Comme toujours, la confrontation eut lieu. Le venin de ses yeux, le néant de son âme, tentèrent tous deux de venir s’immiscer en elle, de perturber son esprit en dévoilant simplement ce que contenait le sien. Ou plutôt ce qui manquait en son sein. Mais ce genre de jeu ne pouvait fonctionner qu’avec ceux qui suivaient les mêmes règles que les autres mortels.
    En son regard, à elle, brillait une faible lumière. Cette même lumière qu’il dénichait au sein de chaque fanatiques, chaque croyants éplorés depuis la destruction de Bénédictus. C’était les braises d’une croyance qui ne pouvait s’éteindre ni s’embraser. Une vénération en gestation, que même la plus innommable des trahisons ne pouvait totalement effacer. Mais à la différence des autres brebis égarées de l’église, cette lueur-ci côtoyait ce qui s’apparentait à une détermination farouche, primale, bien loin de la noblesse étudiée de ses traits comme de sa gestuelle. C’était une émotion animale. Un ardent désir de survie.
    Elle ne faisait pas partie des croyants bien décidés à se sacrifier pour racheter leur terre aux yeux des dieux. Elle voulait vivre. Véritablement. Et elle empestait la magie.
    Sa demande était honnête ou l’illusion qui la faisait apparaître ainsi devant eux était parfaite.

    Les yeux du serpent se plissèrent. Il ricana, et ce son familier suffit à intimer l’ordre aux tueurs autour d’eux de rester calme. Aucune lame ne fut tirée de son fourreau. Darius posa une main sur l’épaule de Mila, pour l’empêcher de bondir, elle, qui n’avait jamais eu besoin d’une lame pour tuer quelqu’un.  
    “- Maintenant, donnez-moi plus qu’un nom. Je veux une identité, un passé, quelque chose d’assez plausible pour que je puisse croire à l’honnêteté de votre demande. Dites-moi donc ce qui vous amène ici. Puis dites-moi quels sont vos talents. Ce que vous pouvez faire, pour nous assister tout au long du voyage. "
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  • Dim 5 Mai 2024 - 22:38
    Ses yeux, attentifs, avaient accompagné la main qui s’était porté à sa poitrine (et mille mercis, non au manche de sa dague). La petite prétention dont il se targuait et son sourire de merdeux l’avait d’abord amusé, avant que la risette tordant ses lèvres ne se transforme en une sorte de contentement devant la soupe de cynisme et de philosophie pratico-pratique qu’il lui servit. Définitivement pas un moine, ni un poltron, jugea-t-elle en silence. Beau mec, dans sa définition. Un voyou solide, comme on les aimait dans les histoires de truands. Tant mieux. Personne n’avait envie d’effectuer un voyage aussi périlleux que celui-ci entouré de culs-bénits et de pleurnichards constipés. Non, lui avait d’ailleurs cette manière de dévisager le monastère et tout ce qu’il représentait avec un mépris tout à fait étudié, l’air de dire : je n’ai pas le moindre respect pour vos croyances ni pour la façon dont vous vous y cramponnez. Il avait de ces sourires qui vous pressaient comme un citron.

    Philosophe et… Pécheur endurci à vos heures perdues, ou bien est-ce l’inverse ? L’avait-elle questionné en prenant place en face de lui, près du feu, là où elle y avait été justement invitée. Ses yeux glissèrent sur la dague qui pendait miséricordieusement – quelle ironie, l’Ange aurait ri en apprenant la manière dont il l’avait baptisée – à son flanc. Ne répondez pas, je crois deviner.

    A côté, elle discerna le mouvement d’un autre homme, la mine grisonnante, une barbe épaisse, qui lui donnait l’air d’avoir été battu autant par les années que par les regrets. Il lui sembla plus vieux que ce qu’il ne l’était réellement. L’Ange nota sa présence – comme celle de son coutelas – sans pour autant n’y accorder le moindre mot : qu’il demeura silencieux n’avait été que preuve suffisante pour lui faire comprendre qui donnait les ordres ici. Elle détourna finalement son regard du vieillard pour retrouver celui de son vis-à-vis, préoccupé à la dévisager.

    Attention, même les moines ne se permettent pas de me dévisager aussi longuement, vous savez. Je risquerais d’être embarrassée. La nonchalance toute maîtrisée dans sa voix suffisait seule à démentir.

    Siame ne pouvait que supposer le fil de ses pensées, noter ce qu’elle perçut comme de la désapprobation, avant de la voir s’évaporer aussitôt. Il y avait chez lui une curieuse façon d’observer le monde—pas qu’elle, mais tout l’espace qui l’entourait. Et pourtant, il lui sembla qu’il s’était attardé un peu plus longuement, comme à la recherche d’une vérité, d’une réponse à une question qu’il n’avait pas formulé. Puisqu’il ne l’avait d’ailleurs pas fait, que sa bouche demeurait figée dans ce petit sourire de con, elle ne chercha pas à savoir ce qu’il lui avait inspiré cette longue contemplation. Rien de bon, à ne point douter : même si le mystère suffisait à éveiller la curiosité face à un pareil personnage. Bien que, maintenant qu’il avait ôté son chapeau, il lui sembla bien plus ordinaire. Dommage. Elle l’aimait bien ce chapeau. À l’époque, avant son emprisonnement, elle avait vu des mortels s’amuser à en sortir des lapins, à faire passer ça pour de la magie. Siame se fit la réflexion qu’elle avait devant elle un tout autre genre de magicien, et qu’elle n’aurait pas été surprise de voir un civet d’organes sortir de ce chapeau-là, en guise de révélation. “Abracadabra ton gros foie sanglant par-là, Bibbity bobbity boo j’ai attrapé ton joli cœur tout mou !” Oui. À le regarder de plus près, tout ça lui apparaissait tout à fait crédible. La combinaison de couleurs sans joie sur son visage n’avait véritablement d’égale que la lueur diabolique qui transpirait de ses sourires : rien d’extravagant, mais suffisamment appuyé pour qu’elle le remarque. Il fallait qu’en plus, il soit bien accompagné. Autour d’eux, chacun membre de sa petite troupe commençaient à s’éveiller, à s’approcher prudemment, une curiosité malsaine pulsant dans leurs veines.

    Si Carl avait choisi de se faire vénérer par ses Sanglots, dans le cas de l’Ange, tout ça était un peu différent. Le respect des lambdas ; la haine des pauvres ; la vénération des fous, elle les avait tous connus. Tous sans la moindre exception : rajouter à l’équation les affres de la solitude. C’était ici que la réelle “confiance en soi” germait, c’était là qu’on prenait réellement conscience de ce que l’on était : enfermé avec soi-même pour seul juge. Quand plus personne ne prenait la peine de vous regarder, de vous regarder vraiment. Pendant 5 000 ans, les mortels avaient vanté la beauté de ses traits, mais pas un seul ne s’était attarder à observer la laideur qui pourrissait invariablement à l’intérieur du marbre. L’Homme était-il vraiment incapable d’accepter ce genre d’ironie ? Il y avait bien une raison pour laquelle le kàllos était seulement un concept, un idéal, et non une réalité—comme s’il n’y avait là aucune leçon à tirer ?

    Il se présenta, puis, ne manqua pas de lui préciser la posture dans laquelle elle se trouvait—subtile provocation que voici, songea-t-elle. Elle laissa son regard de silex considérer chacune des silhouettes qui l’entourait désormais. Ses deux mains se posèrent l’une sur l’autre, trouvèrent sereinement ses genoux. Dire qu’elle fut insensible à ce qu’il se déroulait présentement autour d’elle aurait été mentir. Siame sentit un long frisson lui parcourir l’échine—se découvrit des papillons dans le ventre, maintenant qu’elle se savait acculée, comme si tout ça ne la faisait que mieux rayonner. L’hostilité lui avait toujours été étrangement agréable, sans qu’elle ne se l’explique vraiment. C’est pourtant sans le moindre sourire – tout de même, s’il vous plaît, un peu de tenue, nous venons à peine de nous rencontrer – qu’elle opina du chef, apprenant qu’elle prenait alors la place de leur de l’un ancien compagnon…

    Et arriva l’heure de la confrontation. Sans qu’elle ne s’y soit réellement attendu, le regard de son vis-à-vis se raffermit sensiblement – non, brutalement – et se vissa dans le sien sans qu’elle ne puisse s’en détacher. Sans qu’elle ne veuille sans détacher, tout du moins, c’était ce que disait l’étincelle douloureusement orgueilleuse qui tranchait au fond du sien. Avait-elle seulement eu l’envie de s’y engouffrer ? Il la défiait (l’invitait ? C’était à s’y méprendre) sur un terrain nouveau, que Siame découvrait en lui au fur et à mesure où elle regardait dans chacune de ses deux prunelles. Aux premiers effleurements de son esprit contre le sien, ses paupières s’alourdirent imperceptiblement. Le tout lui faisait l’effet d’une vilaine caresse dans le fond du crâne : l’Ange y avait toujours été sensible, plus que les autres. Elle s’obstina néanmoins à lire tout ce qu’il lui montrait : la folie d’un homme qui lui, accueillait visiblement bien volontiers ses démons, quand le reste du monde semblait vouloir s’épuiser à les exorciser. Quel drôle de personnage. Au fond, tout ça lui donnait le sentiment d’être plus honnête : elle avait toujours abhorré l’hypocrisie humaine face à leurs propres péchés.

    Quand il brisa finalement l’échange, et bien qu’elle ne lui en voulut pas plus que ça, elle hésita entre l’envie de lui embrasser les joues pour avoir tenté (quel culot !) et celle de lui arracher chacun de ses yeux malins à la petite cuillère pour avoir osé (quel culot).

    Suite à ce curieux épisode, il y eut un moment suspendu durant lequel se tenait, entre les membres de la troupe, ce qu’elle aurait comparé à un conseil de guerre silencieux. Un ricanement plus tard de la part du chef de la bande et Siame eut le sentiment d’avoir passé – avec succès – une épreuve d’une importance capitale.

    Je suis bien navrée de devoir vous le dire, mais en ces temps troubles, la seule chose que je peux vous apporter, ce sont des ennuis. Être l’un des « Serviteur des Titans » – je sais, c’est un mot interdit – et vouloir vivre en ce Monde, vous vous en doutez, c’est parfaitement inacceptable. Et cela, même en mettant de côté les équations du type Titans égal méchant et sacs à merde égale Reikois. Ou vice versa ? Avec le temps, même-moi je ne sais plus. Un sourire impertinent pour s'en moquer gentiment.

    Néanmoins, vivre, c’est exactement ce qu’elle avait l’intention de faire—n’en déplaise aux reikois. Sa nature, elle apprendrait à la cacher en arrivant en République (plus permissive que sa faction voisine), mais pour l’heure, sur les terres de Shoumei, elle était encore « chez elle ». L’honnêteté, son histoire, c’étaient les seules choses qui lui restaient, bien que Siame n’était pas du genre à s’attacher à certains détails. C’était ça, ou sombrer à la folie…

    J’ai besoin de protection, le temps d’arriver en République. Puis, d’une nouvelle identité, si cela fait partie de vos compétences. Je ne suis pas vraiment prête à offrir une seconde de plus de ma vie au Culte désintéressé des Titans. Elle insistait sur le mot, puisqu’elle le ferait à nouveau, bien plus tard, mais à sa manière et selon ses propres ambitions. Louée soit Aurya, – était-ce pointe de cynisme dans sa voix ? – être sa Fille m’a néanmoins valu de finir enfermée 5 000 ans durant et j’ai bien peur qu’aux vu des dernières extravagances titanides, je ne sois contrainte de retourner en « prison ». Ou pire…

    Il y eut un court moment relativement éloquent. Avait-elle réellement besoin de leur préciser ce qu’on lui ferait ?

    Et croyez-le ou non, mais… – Son regard balayait la troupe qui la dévisageait, notait silencieusement l’avidité prédatrice dans le fond de leurs yeux. Sa bouche à elle souriait d’une inspiration satisfaite. – ces 5 000 ans m’ont donné la démangeaison de vivre. Elle tenait à sa vie, bien que l’on pouvait en douter au vu du choix de camarades de route qu’elle faisait. Je pense qu’il est important de souligner que si l’un de vos compagnons ne se décident à me sauter à la gorge, j’ai bien l’intention de me défendre, corps et âme s’il le faut. Il me semble plus que normal de retourner la courtoisie, pas vrai ?

    Elle perçut, du coin de l’œil, la main qui se pressa subrepticement sur l’épaule de la seule femme de la troupe—sentit quelque chose de féroce et rebelle flamboyer quelque part en elle. Cette femme la regardait avec une dose de mépris telle qu’elle aurait pu jurer que l’air se faisait découper au couteau. On lui en voulait d’être (ici et ce qu’elle était) et l’Ange n’éprouva pas le besoin de rendre l’appareil. Au contraire. On ne lui ferait pas bouffer à elle le concept précaire de la jalousie entre femmes. Déjà car elle n’en était pas réellement une, et ensuite, car la possibilité qu’elle puisse un jour s’éprendre sincèrement de quelconque mortel relevait plus du miracle qu’une potentielle réalité. Et autant dire qu’elle ne croyait pas non plus aux miracles : il n’y avait bien que les fidèles pour penser qu’il y avait quoi que ce soit de miraculeux sur cette terre puisse exister. Non, l’Ange avait toujours vu les autres femmes comme une projection d’elle-même, avait toujours eu le réflexe de leur accorder l’indulgence et le peu de douceur qu’elle se refusait. Ou bien peut-être s’agissait-il simplement du besoin de combler le manque laissé par l’absence d’une sœur ? Elle embrancha, l’air de rien :

    Je peux payer. Une fois arrivée à notre destination, naturellement.

    Oui, l’Ange ne mentait pas encore, à cette époque. Ou du moins, rarement…

    Oh, et pour votre problème de surcharge, – Attentive la bête. Elle jeta un regard à l’homme au masque mortuaire, qui ne se tenait pas loin du cadavre couvert, au nom d’Alexey (bien qu’elle ne l’apprendrait peut-être jamais) – je peux m’occuper de la dépouille. Il n’en restera pas la moindre trace, c’est promis. Je peux même prononcer quelques mots pour apaiser son Âme et l’accompagner dans son voyage si vous y tenez. Elle le disait comme si elle avait fait ça toute sa vie, et en un sens, c’était vrai. Un rictus ironique tordit ses lèvres, histoire de manifester ce qu’elle pensait réellement de toute cette fumisterie religieuse. À son tour, imitant le mouvement que son vis-à-vis avait eu plus tôt, Siame porta solennellement (ou presque) une main à son cœur et ponctua sa proposition : Amen.

    J’oubliais presque… Sa main quitta sa poitrine pour se présenter à Carl, traversant le feu qui les séparait alors, sans pour autant que les flammes ne la happent—puisqu’on l’avait dit : « elle empestait la magie ». Siame. Ravie de faire votre rencontre. Pour longtemps, je l’espère. Haussement d’épaules entendu. Allons, disons au moins jusqu’à notre arrivée en République ? Quant au reste de l'histoire, – 10 000 ans à raconter, il fallait bien trouver des moyens de résumer, et l'Ange n'avait jamais été friande des monologues. S'écouter parler, elle laissait cet insupportable défaut au reste de l'Humanité – nous avons le temps, le voyage risque d'être long. Peut-être me raconterez vous comment vous êtes parvenu à rassembler tout ce beau monde ?

    A quelques mètres de là, un bruit avait retenti. L'auteur s'était précipité pour l'étouffer aussitôt.
    Pour sûr, on les épiait.


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    Carl Sorince
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  • Mer 15 Mai 2024 - 21:14
    Au coin de leur feu de camp aux flammes anémiques, assise parmi une bande de mercenaires, de pirates et d’assassins, la nouvelle venue aurait dû paraître acculée, effrayée, faible. Même une créature des titans devait sentir la proximité du danger, de la mort, lorsque rien ni personne ne faisait l'effort de dissimuler son attitude, dans une meute de forbans.
    Ses mots sibyllins n'auraient jamais dû sortir avec une telle arrogante diction. Hachée par l'angoisse et la crainte, chaque syllabe aurait dû ramper difficilement le long de sa gorge pour s'interrompre de manière impromptue, entre deux courtes respirations. C'était comme ça, en tout cas, que la plupart des êtres réagissaient, lorsque les Sanglots se resserraient autour d'eux, sans plus prendre la peine de dissimuler intentions et natures à la face du monde.
    Mais la dame ne faisait pas partie de la masse. Que ça soit une vérité ou non, elle disait avoir vécu des millénaires, rien que ça, et subi un outrage incompréhensible pour avoir vénéré les titans.
    Peut-être, au final, que la lueur dansant au fond de ses grisâtres prunelles n’était rien de plus qu’un stupide fanatisme, quand bien même le détachement dans sa voix comme dans ses propos rendait l’idée grotesque.
    Et peu importe, après tout, puisqu’elle devait mourir.

    Darius jura en sentant trop tard que sa prise ne serait pas suffisante. Vicieuse comme toujours, Mila se contorsionna pour lui attraper le bras et le tordre, forçant le forban à lâcher prise pour conserver l’usage de ses vieilles articulations. Dans un bond, la tueuse se dégagea, machette tirée au clair, avant que Joshua ne la plaque au sol pour la ceinturer prestement de ses bras aussi épais qu’un tronc de chêne centenaire. Incapable de s’avouer vaincue, la furie, sans se fatiguer à hurler, frappa de ses jambes dans les genoux du géant et mordit profondément son coude. Un fin filet de sang perla de la morsure, mais Joshua tint bon et affermit un peu plus sa prise, jusqu’à ce que le souffle vienne à manquer et que l’énergie de Mila, par extension, baisse drastiquement.
    La scène dura un peu moins de trois longues minutes. Carl, son habituel sourire en coin, ne lui attribua pas l’ombre d’un regard. Il dégaina Miséricorde pour utiliser sa pointe comme d’un tison et remuer les braises du feu mourant. Un flot d’étincelles ardentes jaillirent dans la nuit. Finalement, Mila sombra dans l’inconscience et, dans un claquement de langue agacé, Darius indiqua au géant d’aller la coucher dans sa tente, comme une gosse turbulente s’étant soudainement assoupie avant la fin du dîner.
    “-Ne le prends pas personnellement.“ Rassura le chef de bande après un instant de flottement. “Certains des miens ne se souviennent que trop bien des vieilles allégeances et de ce qu'elles ont apporté à notre beau pays.
    Un ricanement, suivi d'un lever de regard en direction de l'intruse qu'il venait d'admettre dans son camp. Son front se plissa dans ce qui ressemblait chez lui à une expression songeuse. Comme si il réfléchissait encore à la validité des paroles sortant à l'instant de sa bouche :
    “-Par chance, je suis moins réfractaire à l'idée d'offrir une seconde chance au culte et à leurs ouailles. Ma famille, après tout, était très croyante.
    Un aveu à l'honnêteté visiblement discutable mais qui devait, pour l'heure, suffire. Son attention se détourna de la dame et porta vers l'extérieur du camp, dans les ténèbres où sévissait toujours le spectre du groupe. Alexey s'extirpa de son manteau de nuit, la main gauche fermement refermée sur le col d'un prêtre aux yeux exorbités qu'aucun de ses lâches frères d'office ne viendrait libérer si, par malheur, ils décidaient de le découper dans le sens de la longueur.
    “-Il nous épiait.” Expliqua simplement l'assassin en se débarrassant de sa prise d'une bourrade. L'accusé glissa jusqu'au feu, s'arrêtant juste avant que les flammes ne puissent mordre dans sa chair ou le tissu de sa bure.
    Le sourire se volatilisa. La lame aux extrémités rougies replongea dans les entrailles des flammes, plus profondément cette fois.
    “-Je commence à avoir beaucoup de visiteurs par ici.” Sa voix était traînante. Désagréable à l'oreille. Il goûtait ses mots à chaque syllabe, les faisait durer en bouche sans masquer le persistant amusement que ce monde semblait lui déclencher. La moquerie, plus que le rire, se laissait deviner à chaque son sortant de ses lèvres éternellement souriantes. “Et je dirais que certains n'y sont pas les bienvenus, mais je ne saurais dire lesquels.” Un poing squelettique se posa sous son menton alors qu'il mimait une intense concentration. “Alexey, une idée?
    Le spectre tourna le masque mortuaire qui lui servait de visage en direction du prêtre venant à peine de se rétablir. Debout, voûté et misérable, l’importun semblait plus préoccupé par l’idée de passer pour… ce qu’il était, devant la dame, plutôt que de mourir dans les secondes qui suivraient.
    Alexey changea cet état de fait en venant lui chatouiller la nuque avec le carreau chargé de l’arbalète qu'il lui braquait dans le dos.
    “-Je dirais que ceux qui sont les bienvenus sont les clients. Et celui-ci n’a pas l’air d’un client.”
    Carl acquiesça et le venin de ses yeux sembla traverser le cœur du nouvel intrus lorsqu’il daigna enfin lui attribuer un regard. Une gerbe d’étincelles accompagna sa lame quand elle s’extirpa de son fourreau de braises. Comme un érudit l’aurait fait avec sa plume, le mercenaire fit danser l’arme à la pointe rougeoyante entre ses doigts.
    “-Et donc, si ce n’est pas un client, qu’est-ce que c’est?
    La bouche de l’importun demeura close et son interrogateur se garda bien d’en prendre ombrage. En attendant qu’il trouve en lui assez de courage pour se débarrasser de l’accès de mutisme passager liant ses lèvres, le serpent se releva, épousseta son manteau, s’étira avec désinvolture et déposa prudemment sa dague incandescente sur le bord de son tabouret improvisé. Ceci fait, alors que ses mains gantées s’en allaient récupérer son couvre-chef pour le placer sur ses cheveux hirsutes, Carl reporta le poison de ses yeux sur la silhouette famélique de sa nouvelle associée :
    “-Pendant que les autres discutent avec notre nouvel arrivant…” Une pause, calculée, faussement hésitante.”Siame c’est ça? Veux-tu s’il-te-plait m’accompagner jusqu’au défunt, que l’on puisse s’entendre loin de toute oreille indiscrète.
    Sa proposition, accompagnée par un bras tendu en direction de la carriole à la toile gelée, fut ponctuée par quelques rires de la part des Sanglots. Déjà, son fils favori sortait de sa planque pour dévoiler au moine sa figure ravagée et les multiples lames prises dans le tissu de son veston. Au passage, le défiguré attrapa la lame abandonnée par son patron pour déposer sa pointe brûlante sur ses cicatrices.
    Une nouvelle brûlure sans douleur -puisqu’aucun nerf n’avait survécu sur sa gueule de cauchemar- qui vint emplir les airs d’une odeur de couenne calcinée.
    “-Je vous laisse.” S’amusa Carl alors que Siame -certes un peu forcée par les circonstances- abandonnait là le nouvellement muet pour le rejoindre dans les ombres. “Et puis… je vous le laisse !

    Le duo disparut dans la nuit, lentement mais sûrement. Emporté par le vent montagneux, leurs paroles se perdirent loin de l’attroupement de mercenaire. Joshua, accompagné de Darius, ressortit de la tente de celle qui avait été consignée en grimaçant, s’efforçant de faire rouler une épaule qu’elle avait bien failli démettre. Alexey, son arbalète toujours braquée sur le dos du moine silencieux, ne bougea pas d’un cil. Ferg’ sourit d’un air gêné en sentant l’odeur qui émanait de la joue brûlée du fils favoris.
    Et Slick se passa la langue sur les lèvres, s’accroupit devant le prêtre, pour lui demander posément :
    “-Alors, comment ça va?”

    “-Comme je le disais, mes hommes ne sont pas très avenants et je m’en excuse.” Mentit Carl, les yeux plissés en cherchant la dernière lanterne à l’arrière de la caravane. “Mais, vraiment, si je puis me permettre, le fait que tu sois un foutu rejeton d'Aurya ne va pas aider si tu souhaites une nouvelle identité.” Enfin, le métal froid englobant le fruit de ses recherches heurta ses doigts. Il s'en empara, ouvrit sa trappe de verre, craqua une allumette et, d'un tour de manivelles grincantes, ajusta l'intensité de la flammèche dévorant la mèche.”Je sais, je ne suis qu'un vil flatteur, mais tes traits sont un peu trop parfaits pour qu'ils passent inaperçu, surtout si on passe par Kyouji. Les anges -même déchus- ont une fâcheuse tendance à fuir la défaite par les temps qui courent…Surtout ceux qui ont beaucoup de morts à se reprocher. Dans un camp ou dans l'autre.
    A la lueur de la lanterne, les milliers de cristaux de givres parsemant la peau grise et les lèvres bleues du corps gelé brillaient. L'hiver avait au moins ça pour lui : il rendait la mort plus avenante et bien moins odorante que l'été.
    “-Ma question, bien sûr, c'est comment une ange perdue souhaitant fuir notre beau pays par le plancher des vaches pour changer d'identité et s'offrir une nouvelle vie chez les républicains peut bien avoir quelque chose à offrir à de pécuniers salopards tels que nous ? Si tu n'as pas d'or ici, alors tu n'en auras pas plus là-bas et si tu as de l'or ici…” Un regard scandaleusement scrutateur détailla son angélique accompagnatrice. Et si son sourire aurait pu s'élargir plus, nul doute qu'il l'aurait fait à la fin de son inspection.“Il ne doit pas peser bien lourd. Et sa somme ne doit donc pas être conséquente.”De fait, les fines épaules de la fille d'Aurya, si droites pouvaient-elles être, semblaient peiner à soutenir le poids de la laine blanche censée la maintenir au chaud. “Autant le dire de suite, si tu penses pouvoir régler ta dette en nous offrant la paix de l'âme ou je ne sais quelle connerie liée à la confession, on va te laisser sur place. D'autres, plus mesquins que moi, auraient sans doute profité de l'occasion pour tenter je ne sais quelle sordide et indécente proposition, mais j'ai bien peur d'être un peu trop professionnel pour ça et, en réalité, terriblement chaste. Nous voilà donc dans une première impasse : Tu ne m'apporteras que des ennuis, tu es une des créatures les plus détestées du Reike -que nous devrons immanquablement traverser pour rejoindre les vertes prairies républicaine- tu es une bouche de plus à nourrir et, par les couilles fumantes de Kazgoth, tu n’as pas assez d’or pour négocier un élan de clémence.
    Un tel résumé aurait dû finir à enfoncer le clou, mais le ton dans sa voix, depuis le début de son interminable logorrhée, avait laissé sous-entendre qu'une solution existait.
    “-Mais j'aime les titans, ma chère amie tombée des cieux. Comble du bonheur, j’ai également une très bonne mémoire des visages comme des noms. Ma grande âme me fait penser qu'il faut se serrer les coudes, entre Shoumeiens, lorsque des enfants de putain en pagne n'ayant jamais découvert l'existence du savon viennent piller et souiller nos terres. Alors je te propose mon aide, tu fais disparaître le corps de notre ami ici présent.” Un pouce nonchalant se pointa derrière-lui, en direction du cadavre. “Et tu pourras prendre sa place en tant que poids mort. Une fois qu'on t'aura trouvé un coin sombre en République et une nouvelle identité, tu pourras partir et continuer ta vie, tu te souviendras de mon nom et de celui de chacun de mes amis ici présent. Et tu te souviendras de ta dette envers nous.
    Le silence fondit sur eux en même temps qu'une bourrasque glacée. Le tueur posa deux doigts sur le bord de son chapeau pour le maintenir vissé sur son crâne. La cape de laine blanche, rendue lourde par la neige fondue qu'elle avait récolté dans son sillage, ne bougea qu'à grand peine face aux assauts des éléments.
    “-Avoir une amie immortelle, ça me plaît bien, qu’en dis-tu?” Acheva-t-il, une pointe de moquerie dans la voix, encore. Quelque chose dans l'attitude de l’ange à son arrivée, dans sa façon de se présenter à eux, si gorgée de confiance, capable d’aller jusqu'à les menacer de riposte au milieu de leur camp, empestait le souvenir d’un grand pouvoir désormais inaccessible. La fierté d’une immortelle refusant de s’avouer totalement dans la nécessité de quémander l’aide des mortels. Une fierté respectable mais malvenue en de telles circonstances. Sans être féru d’histoire, Carl, comme tout bon Shoumeïen, avait entendu parler des vieilles légendes, des mythes, concernant Satoshi, le premier grand prêtre de Bénédictus, qui avait façonné Shoumeï à la gloire des titans. Sans grand mal, il imaginait l’attitude servile et béate des masses, à l’époque où l’homme n’avait pas encore saisi que les anges vivaient l’exsanguination aussi mal que n’importe quel être vivant. Juste avant que la première guerre contre les dieux n’éclate, les fils des titans avaient dû vivre dans la vénération constante des masses.
    Mais les temps avaient changé. Carl vénérait sa propre âme de mortel plus que toute autre chose. Les titans, comme tout le reste, n’étaient qu’un outil.
    Et leurs enfants aussi.
    Alors, si Siame souhaitait vraiment vivre, elle allait devoir abandonner son orgueil. Comprendre qu’elle ne valait pas mieux qu’eux.
    Sa fierté de vénérée, c’était ça, le prix de son passage.
    “-Bon !” Fit-il en claquant ses mains l’une contre l’autre. “Maintenant dis-moi, comment on se débrouille, pour le macchabée?” Il cligna des yeux dans l’espoir de chasser les flocons s’étant logés sur ses cils, puis précisa.”Son petit nom, c’était Jotheïm.
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