Para Bellum

Une pluie battante frappe les terres désolées du Shoumeï et apporte le froid de l’automne mourant sur les plaines de vide qui s’y étalent à perte de vue. À l’ouest, des massifs montagneux se dessinent à l’horizon et soulèvent un relief bien rare sur le continent déchu, l’ire des Titans d’il y a quelques années a rasé nombre de collines, vallées, déforesté les boiseries et asséché les lacs. Il ne reste des terres désolées du Shoumeï qu'un navrant reliquat à peine réminiscent de la grandeur culturelle de l’ancienne théocratie. Sur le continent parcouru sans cesse par les monstres en tout genre, qu'ils soient des artefacts restants de la dernière guerre contre le divin, des représentants de la faune locale déformés et corrompus par la magie insidieuse des Titans ou de nouvelles engeances putrides des Archontes, des poches de survivants parviennent encore à subsister au milieu de l’enfer. La plupart du temps de simples rescapés du cataclysme qui a ravagé Shoumeï et plus particulièrement Bénédictus, ces rassemblements précaires de survivalistes sont souvent pauvres et mal protégés, mais demeurent par une miraculeuse résilience sur leurs terres natales grâce à une foi inébranlable en leurs traditions.

Les simples civils ne sont pourtant pas les seules âmes égarées à peupler les ruines de l’ancien royaume. Parmi les brebis esseulées rôdent des prédateurs insidieux, cachant leur jeu à la vue des croyants plus modérés, ces fanatiques s’adonnent à la seule solution salvatrice qui les garde encore du désespoir total: l’ars obscura. Les esprits les plus faibles des mortels qui se perdent sur le chemin de l’abandon se dévient vers l’obscurantisme et ses fausses promesses d’une Ordalie dans laquelle les péchés n’importent plus. Ses servants opèrent dans les ténèbres d’une société déjà déchue et c’est justement ce qui les rend insaisissables, mais ça ne les rend pas moins dangereux.

Pendant ces derniers mois d’automne, Savoir avait parcouru le Sekaï à la recherche de cellules cultistes, éliminant systématiquement parfois les cultes, parfois les campements entiers de réfugiés sans faire preuve de distinction, laissant derrière lui les cendres fumantes et les complaintes mourantes des victimes collatérales dans le sillage de son éradication. Le Démon commençait inconsciemment à forger sa propre rumeur, le mot se répandait entre les villages de fortune et les hameaux plus établis qu’un monstre ineffable assoiffé de destruction venait achever ce que les Titans avaient commencé, d’autres racontaient encore qu’un Archonte allait de camp en camp pour absoudre les mortels et les renvoyer près de leurs créateurs, mais d’aucun n’étaient proche de la vérité. Savoir ne cherche pas à assouvir la moindre prophétie ou à renforcer quelconque croyance, il ne fait qu’un tri.

Aujourd'hui sa quête a mené le Désintégrateur d’Azshary jusqu’au pieds d’une montagne au sud des monts de Célestia, sur la côte ouest du Shoumeï, après qu’il ait remonté le trajet d’une caravane itinérante de fanatiques dont les cargaisons de nombreux parchemins ésotériques indiquent clairement un site de fabrication caché quelque part dans ces montagnes. Nullement freiné dans ses recherches par les vicissitudes usuelles des mortels comme la faim, la fatigue ou le sommeil, l’entité démoniaque se remet en marche et commence son ascension vers un point culminant pour obtenir le meilleur panorama possible. Après une trentaine d’heures passées à gravir la montagne à coup de téléportations, le Démon parvient de nuit en haut d’un pic qui surplombe les ombres opaques du paysage enneigé. Là haut, il se pose plusieurs options: le Démon pourrait générer une source de lumière et illuminer la voûte nocturne pour entamer immédiatement la fouille des environs, mais une telle manifestation de magie trahirait certainement sa présence et renforcerait les préparatifs et la résistance de ceux qu’il traque, d’un autre côté… le Démon sait que seuls les méritants Champions des Mortels peuvent réellement s’opposer à lui et à priori, les Cultistes n’en comptent pas parmi leurs rangs. De toute façon sa méthode d’inspection ne sera pas plus discrète s’il décide d’attendre le jour et l’avantage maigre que les quelques secondes ou minutes gagnées lui procureraient ne valent pas le temps perdu passé loin d’Espoir.

”Analyse conclusive: action recommandée, recherche intensive.”

Levant son bras décharné vers les cieux, Savoir écarte chaque serre osseux qui ornent son appendice immonde et génère des orbes lumineuses au creux de chacune d’entre elles. Elles grossissent, gagnent en intensité, leur radiance devient bientôt insoutenable et les membranes nictitantes de l'œil d’Alys se referment derrière sa pupille pour en protéger sa rétine.

”Astre solaire artificiel déployé. ”

Les orbes lumineuses s’envolent de sa main dans un flottement léger et convergent les unes avec les autres pour fusionner en une boule de pure magie de lumière, gagnant en altitude jusqu’à ne devenir qu’un point blanc au dessus de Savoir. D’aussi loin, la parodie d’étoile ne projette qu’une lumière blafarde qui passerait presque pour une grosse paillette au milieu des constellations nocturnes, mais d’un seul coup le Démon infuse sa magie dans sa création. La sphère décuple brusquement de volume et d’intensité, son éclat artificiel projette des rayons puissants sur la vallée et transforme par sa présence la nuit en jour. Baignant ainsi dans sa propre lumière, Savoir du haut de la montagne désassemble l’iris d’Alys pour observer attentivement les alentours, cherchant les irrégularités de terrain, les fosses abruptes ou les entrées de grotte suspecte. Il remarque un canyon profond échappant à sa vision, alors en se concentrant attentivement, le Démon fait apparaître dans le ciel au-dessus de l’endroit une reproduction fidèle de l’organe oculaire rougeâtre et inspecte par projection astrale le gouffre pour vérifier que rien ne s’y cache.

”Aucune présence détectée.”

Répétant l’opération plusieurs fois sur différents potentiels points d’intérêts, Savoir finit par trouver ce qu’il cherche lorsque son œil se manifeste au-dessus d’une falaise au pied de laquelle des installations se tiennent debout. Plusieurs chaumières à l’architecture inégale sont alignées en arc de cercle autour de l’entrée d’un bâtiment creusé dans le flanc de la montagne, en contrebas, des mortels d’espèces variées s’affairent avec une certaine panique à précipiter leur matériel et leurs congénères à l’intérieur de l’espèce de temple qui s’enfonce dans la pierre.

”Trouvés.”

Une dizaine de secondes plus tard, le Démon de la Connaissance apparaît devant l’entrée du temple, son œil rouge observant les ombres lugubres qui s’abattent immédiatement derrière l’arche de l’entrée. Essayant de limiter les risques de piège ou d’embuscade, le Démon lâche une impulsion lumineuse à basse fréquence et un dôme d’un fin film de lumière rouge croît depuis son iris pour englober à une vitesse luminique une large zone d’une quarantaine de mètres de diamètre. Ce à quoi Alys ne s’attendait cependant pas, c'était de trouver quelque chose à l’extérieur de l’entrée du temple.

”Analyse conclusive, signes vitaux détectés.”

Para Bellum

Feat. Savoir

Le Fléau de l’Éternité. Un nom qui résonnait depuis peu dans l’esprit de bon nombre de reikois et de républicains. Un nom qui, chez certains, inspirait la peur, faisant trembler les pauvres gens qui avaient peur de se retrouver dans le cercle infernal de cette secte. Les Consuls, il ne s’en prenait pas qu’à de simples villages, non, même les citoyens vivant dans les grandes cités étaient en proie à ces gens. Personne n’était en sécurité, personne n’était à l’abri d’un jour se trouver à vivre pour le bien de cet inconnu, gérant d’une main de maître toute une secte. Même Orion, le chef de la Cellule du Vent, ne savait point qu’il était et comment l’atteindre. Seul le nom de « Grand Guide » était connu des services secrets Reikois. Mais, peut-être l’avenir allait-il offrir de nouvelles réponses au jeune reikois qui s’évertuait à chasser cette chose.

Malheureusement, le Reike et la République n’étaient pas les seuls terrains de jeu de ces gens, emplis de mauvaises intentions, non. L’ancien territoire de cette prestigieuse nation aujourd’hui déchue, le Shoumeï, était le lieu le plus approprié pour répandre cette gangrène. Les habitants, autrefois shoumeïen, maintenant sans appellation, étaient des cibles faciles, des personnes manipulables trop simplement. Depuis la chute de ce royaume, par les dieux qu’ils adulaient, le nom de Fléau de l’Éternité se répandait de plus en plus sur tout ce territoire désolé. Mais, comment pouvait-on simplement stopper cette maladie spirituelle se répandant sur tout le continent ? Orion avait déjà affronté ces gens appelés Consul, mais visiblement, c’est bien inutile. Il fallait s’attaquer à ceux qui tirait les ficelles.

C’était ainsi que le Chef de la Cellule du Vent s’était rendu en direction de Célestia, l’une des grandes montagne de l’ancienne Shoumeï, afin de combattre l’un des Consuls qu’il avait repérés, se terrant sous les montagnes. Mais, une chose échappait au chef-espion, une chose extrêmement importante. Sur son long périple pour se rendre jusqu’à cette montagne, il vit bon nombre de campements de fanatiques rasés. Mais qui ? Ce n’était pas du fait du Reike, il le savait, puisque c’était lui qui coordonnait ses attaques. Ce n’était pas non plus du fait du SCAR, la République se fichant pas mal du sort des Shoumeï. Alors qui ? Était-ce les membres du Fléau de l’Éternité qui rasait les campements et villages opposant leur dogme ? Non, ils n’en avaient pas le moindre intérêt. Alors peut-être la légende du monstre ineffable assoiffé de destruction venait achever ce que les Titans avaient commencé n’en était pas une ? Peut-être qu’il existait réellement un monstre capable de tels exploits. Si tel était le cas, il serait certainement un grand ami d’Orion, ayant tous deux le même objectif : Débarrasser le Sekai de cette vermine d’extrémistes. Tant de questions ne trouvant malheureusement pas de réponse en l’instant. Mais, le Vent le savait, des réponses il en aurait.

Caché dans un épais feuillage, Orion observait sa cible, ou plutôt, ses cibles. Il le savait, sous cette montagne était caché une sorte de village souterrain. À la même manière que le village Vermeille proche de Bénédictus. Le chef du Vent ne pouvait pas s’immiscer innocemment dans cette forteresse souterraine, en prétendant qu’il n’était qu’un simple réfugié ayant besoin d’aide, non. En ce jour, il allait jouer avec ses ombres pour se frayer un chemin jusqu’au Consul et l’abattre. Si la moitié des habitants étaient à l’extérieur, alors au total, ils n’étaient pas nombreux. C’était parfait, si jamais les choses venaient à dégénérer. Une autre information qu’il prît en compte, c’était que les Consuls n’acceptaient guère qu’il y eût des combattants dans leurs rangs, pour éviter toute révolte inopinée.

Soudain, une grande lumière éblouit le ciel, puis une horrible chose apparut plus haut dans la montagne. Voyant tous les habitants remballer leurs affaires, Orion se rendit invisible pour les suivre jusqu’à l’antre du temple. Seulement, il n’eut pas le temps d’y arriver qu’entre l’entrée et lui-même apparût un gigantesque monstre, à l’allure horripilante. Naturellement, un sentiment de peur l’envahit, avant de disparaître aussitôt, le jeune chef-espion reconnaissant là les traits décrits dans cette fameuse légende urbaine se répandant dans les refuges. Un être décharné, muni d’une multitude d’yeux. Orion l’avait trouvé, il était là, devant lui. Et, cette chose semblait avoir détecté des signes de vie. De ce fait, le Vent n’avait plus aucune raison de se cacher.

Doucement, le sortilège d’invisibilité se dissipa, puis Orion laissa sa silhouette apparaître derrière le monstre décharné. Il était vêtu de son habituelle armure carmine, des plaques d’acier recouvrant ses parties vitales. Une capuche recouvrait sa magnifique chevelure immaculée, tandis que sur son visage se dessinait les traits d’un masque en acier extrêmement résistant, un voile sombre. Un large sourire se dessina sous ce voile, déformant les traits de son visage fendu par bon nombre de cicatrices. Les prunelles écarlates du jeune homme ne savaient où regarder, l’être démoniaque étant muni d’une multitude d’yeux. Naturellement, ces prunelles carmines glissèrent sur l’œil situé au centre de tout ce mélange puis, une douce voix, déformée par son masque, vint briser la barrière formée par ses lèvres.

- C’est donc toi, le monstre ineffable assoiffé de destruction venant achever ce que les Titans avaient commencé ? Cette légende urbaine répandant la peur dans le cœur des fanatiques ? Je le savais, tu n’es pas une simple légende. Je t’en prie, donne-moi le nom de celui qui partage mes objectifs. Aide-moi dans ma quête et, je t’aiderai en retour.

CENDRES

Debout dans la neige, le Démon observe attentivement la silhouette qui se découpe de nul part en se matérialisant devant lui, sa présence relevée par l’impulsion n’avait été trahie que vaguement et sa position exacte échappait encore à l'entité azsharienne avant qu’il ne se montre. Lorsqu'il commence à s'adresser à Savoir en parlant de légende et de monstre, la créature poly-oculaire ne réagit presque pas, sa seule véritable réponse physionomique se lit dans la pupille d'Alys qui se rétracte fortement à la mention des Titans et d’un partage d’objectifs. Silencieux, le Désintégrateur avance lentement, son énorme iris carmine observant scrupuleusement le mortel en face d’elle. Ses jambes racinaires laissent des griffures archaïques dans le drap de poudreuse qui tapisse les environs et il s’arrête à plusieurs mètres de l'individu masqué. Intervient aussi dans l'observation de cet inconnu la prise mentale de notes concernant ses réactions comportementales, rares sont les mortels qui conservent leur sang-froid face à son apparence déroutante. Il faut dire qu’entre la nature ramifiée de ses jambes qui se subdivisent en de multiples embranchements à partir de ses cuisses, la forme myriapode aberrante de son bras droit dont la surface chitineuse est un mélange fusionné de chair et d’os, et la prolifération sauvage de chaire informe au niveau de son torse où fleurissent en vrac organes tuméfiés et filaments organiques à la légèreté surnaturelle, Savoir inspire généralement de par sa simple vision un vent de panique chez le commun des mortels. Un sentiment complété par l’aspect cauchemardesque de ce reliquat de tête figé dans une expression horrifiée qui ressort de son épaule gauche ou par l’évident sac de nœuds viscéral qui pend de l’ouverture béante au niveau de son ventre. Les probabilités d’un passé militaire ou martial sont élevées, les probabilités d’un passif civil s’amenuisent également grandement. La puissante voix menaçante de l’oeil analytique retentit à nouveau tandis que sa rétine se décompose pour disséquer l’accoutrement de son interlocuteur :

”Nous sommes Savoir, Démon de la Connaissance, premier des Sept et Gardien d’Azshary.” le cristallin d’Alys déployé à l’air libre ausculte visuellement sa cible. ”L’objectif, est l’annihilation des partisans des Titans…” il se remet ensuite en place bien au chaud dans le corps vitreux avant de continuer, ”... vêtements typique de fabrication reikoise, chance d’appartenance aux Culte des Ombres faible. Niveau de menace, faible. Nos objectifs sont communs?”

L’oeil perché sur son filament organique au dessus de la prolifération de chaire qui orne son torse se contorsionne pour s’abaisser au niveau du visage de son interlocuteur, Alys est passablement intriguée par la présence d'un facteur imprévu dans ses calculs de risque et le Démon reconsidère maintenant la viabilité de son excursion à l'intérieur du temple cultiste. Le nouveau venu a cependant prétendu avoir les mêmes desseins que lui, ce qui pour Savoir mérite un éclaircissement :

”À l'intérieur de cet endroit, la probabilité d’une installation favorable aux Titans est élevée, l'exploration est nécessaire pour débusquer et exterminer l'ennemi.” l’oeil vermeil fixe le masque d’acier qui lui fait face. ”Pour décliner votre identité et votre intention, ouvrez votre esprit à la Connaissance.”

Le bras gauche humanoïde de Savoir se tend vers l'inconnu, le risque présenté par une coopération avec un parfait étranger est, selon l’azsharien, beaucoup trop élevé pour ne pas mettre en danger la garantie du succès de son opération, il est donc selon le pragmatisme invariable d’Alys, essentiel qu’une forme pure de confiance puisse être établie entre eux deux.

Para Bellum

Feat. Savoir

La créature difforme dont les traits se dessinaient tant bien que mal devant les prunelles écarlates du Vent du Reike se nommait donc Savoir. Le démon de la Connaissance. Premier des Sept et Gardien d’Azshary. Un nom qui étrangement, ne disait absolument rien au reikois, malgré son statut haut-placé dans les services secrets de la nation éponyme. Peut-être Savoir n’était pas vraiment intervenu dans l’un de ses domaines d’expertise, ce qui honnêtement, ne serait pas spécialement étonnant. Enfin, qu’importe, la créature dont les légendes affolaient les habitants fanatiques se matérialisait devant le maître des ombres et, ceci ne pouvait que le ravir. Même si, il fallait l’avouer, il avait rarement vu quelque chose d’aussi moche et magnifique à la fois. À vrai dire, cette première impression restait douteuse, il ne savait pas trop quoi en penser, mais pourquoi pas. Seulement, la voix du démon restait déroutante, une voix déformée dont la nature n’arrivait pas à se faire connaître. Un mâle ? Une femelle ? Rien ? Qu’importe, en réalité.

Un détail fit cependant sourire le jeune homme, la couleur de la prunelle ouverte de son vis-à-vis. Une couleur reflétant avec perfection celle du sang, de la même manière que le regard du chef-espion. Il la trouvait tout simplement magnifique, il était capable de la contempler pendant des heures et des heures s’il le pouvait. Mais, hélas, il n’en avait pas vraiment le temps. Il ne répondit à aucun des mots prononcés par le démon, pour l’instant. Il cherchait simplement à détailler le moindre de ses mots, il devait rester concentré sur le son, la créature n'ayant pas de visage à décortiquer. Ainsi, il porta sa concentration sur les paroles émanant mystiquement de son interlocuteur, épiant le moindre de ses sons, saisissant la moindre de ses paroles. Incroyable. Il ne parlait pas de manière normale, c’était certain.

Alors que ses paroles suivantes justifiaient la présence de fanatiques dans cet antre secrète, l’œil écarlate de la créature s’abaissa au niveau du visage d’Orion, comme pour le détailler de plus près. Naturellement, le Vent du Reike restait impassible, tentant de ne montrer aucune de ses émotions, qui d’ailleurs n’existait presque pas. Il ne ressentait rien si ce n’était de la fascination pour la créature lui faisant face. Le chef-espion serait ravi de pouvoir mener une expédition punitive dans cette grotte en compagnie du Démon de la Connaissance. Peut-être ce dernier pouvait apporter bon nombre d’informations à Orion en ce qui concernait les Consuls ? Peut-être avait-il lui-même connaissance de l’identité du Grand Guide. Si tel était le cas, il se devait de quérir la confiance de l’entité lui faisant face.

Savoir voulait que le chef du Vent décline son identité et, pour se faire, il lui tendit un bras gauche semblant humanoïde. Encore une chose surprenante ne manquant pas de créer énormément de questions dans l’esprit d’Orion, comme à chaque fois qu’il eût une chose troublante face à lui. Enfin, en l’instant, il n’avait pas vraiment le choix que de s’exécuter à la demande de l’entité démoniaque. Ainsi, il porta sa main droite vers le bras gauche de la créature, puis plaqua sa main contre la sienne. Il vint une nouvelle fois briser la barrière de ses lèvres, prononçant ses quelques mots de vive voix, alors que Savoir était certainement capable de lire son esprit. Mais, qu’importait. Pour lui, cela avait plus de valeur de le prononcer à l’oral plutôt que simplement par la voix de son esprit. Il ferma les yeux, puis laissa sa douce voix déformée par le voile d'acier, quitter son corps.

- Je suis un espion Reikois, chef de la Cellule du Vent, celle traquant sans relâche les fanatiques présentant une menace à la couronne impériale. Je ne peux malheureusement pas te dévoiler mon nom à haute voix, je te laisse le lire dans mon esprit si tu le souhaites. Aujourd’hui, si je suis ici face à cet antre dans la montagne, c’est bien parce que j’y trouve un intérêt. À l’intérieur de celle-ci se trouve un groupe d’individus représentant une menace pour ma nation. M’aideras-tu à les anéantir, Savoir, Démon de la Connaissance ?

CENDRES

Orion Yamveil.

Une quantité appétissante d’informations s’offre au Démon de la Connaissance, se déversant des pensées franches du chef de cellule pour atterrir dans les serres avides de la conscience pluri-millénaire de Savoir. La curiosité, cet instinct vieux comme le monde qui pousse ceux qui le craignent à se reclure toute leur vie et ceux qui l’embrassent à risquer leur existence même pour assouvir une faim éternelle. Le premier des Sept Soeurs en est l'incarnation même, la manifestation dans le domaine physique de la soif de connaissance débridée qui a éventuellement mené les chercheurs elfiques du Compendium à leur perte. Comme toutes ses Soeurs il court après une hégémonie conceptuelle inatteignable, et comme toutes ses Soeurs, il se nourrit de cette force dégagée par les Mortels. Le repas qu’Orion lui offre est un buffet sans précédent. Jamais n’avait-il eu accès à l’esprit d’un homme recelant d’autant d’informations inédites, d’autant de savoir-faires spécifiques, d’autant de secrets uniques. Parmi la foule de données nouvellement acquises le Désintégrateur d’Azshary assimile la vague de connaissances arrivante, il tri, classifie l’importance des informations, son oeil rouge profond pulse d’un intense battement comme si sa pupille se faisait le coeur de son organe oculaire. Il voit ce que son interlocuteur sait de l’espionnage, des tactiques de renseignement reikoises, de la structure du pays, de ses ennemis, alliés, ombres qui le parasitent et lumière qui le baignent. Il voit les traditions de forge du village de Yamveil, l’éducation de Drakstrang, la formation sous Maître Kusho, il voit la rivalité avec un homme au nom maintenant tenu secret.

Zéphyr Zoldick.

Il voit l'expérience martiale et la technique de combat de son interlocuteur.

Alys resserre sa prise sur la main de l'espion, l'empêchant de reculer alors qu’au fond de ses pensées une force commence lentement à apposer son emprise sur la Conscience.

”Réévaluation du niveau de menace: capable. Action recommandée…”

Le vent cesse de souffler sur les plaines de givre, ne s’écrasant plus sur le flanc de la montagne ni ne poussant plus son hurlement d'ordinaire continu. Le silence absolu s’installe alors qu’une tension subite s’abat sur les deux êtres à l'extérieur du temple. Le Démon poly-oculaire ne dévie pas son iris carmine du masque d’acier qui lui fait face, et rompant la chape insonore qui les surplombe, un son bruyant se fait soudainement entendre, celui de la paupière protectrice d’Alys qui se matérialise autour du globe. Le Démon demeure un instant ainsi, aveugle, ses yeux tous fermés, sans relâcher la main du reikois qu’il vient de sonder.

”...action recommandée…”

Un bruit glauque et visqueux accompagne le mouvement de l’épée qui s’extirpe du tronc de Savoir, lévitée par une force surnaturelle, la lame est maculée d’un sang noir pourri et son manche sort de la protubérance organique en haut du corps afin de révéler le reste de l’arme, puis de parfaitement flotter à ses côtés. Lorsque le son de désintégration de paupière se fait de nouveau entendre, c'est un autre globe oculaire qui se dévoile pour révéler derrière la membrane violacée une iris à l’épithélium rayé de traits bleus azur et violets. Constellé de particules dorées sur un fond noir, le nouvel oeil donne l’impression d’une voûte nocturne venue d’ailleurs. La voix qui s’élève dans les airs est douce, féminine, presque maternelle, mais le contraste avec le mot glacial qu’elle prononce le rend d’autant plus tranchant:

”...Jugement.”

Et alors qu’Éva s’éveille complètement, elle plonge son bras décharné dans ses entrailles et semble fouiller à l'intérieur des viscères.

”Voilà un moment que nous n'avions pas procéder à l’épreuve d’un nouveau Champion.” En ressortant ses serres chitineuses de ses tripes, le Démon écarte les boyaux bleuis pour révéler un livre ancien aux pages immaculées en un souple métal mystérieux. L’ouvrage s’ouvre d’un coup en volant au-dessus de ses doigts acérés et les pages défilent à toute vitesse quand elle relâche enfin sa prise sur le poignet d’Orion. ”Mortel, parachève ta destinée, prouve ton aptitude dans le combat contre les Titans en vainquant l’épreuve de ton existence.”

Alors que la magie de lumière commence à se manifester autour d’eux, les particules dorées dans l’iris d’Éva s’allonge vers l’extérieur de l’organe en fins rayons lumineux, sortant même de son contour pour virevolter dans les airs en une crinière aussi formidable qu’intimidante.

Para Bellum

Feat. Savoir

Le démon avait fait son œuvre, il avait lu dans les pensées d’Orion à l’aide de sa lecture de l’esprit. Mais alors, qu’avait-il vu ? Pouvait-il voir tous les secrets du Reike ? Non, Orion n’était pas l’Oreille, malheureusement pour ce dernier. Peut-être Savoir pourrait-il recevoir l’identité de l’Oreille, le nom de Zéphyr Zoldyck. Mais, serait-il capable de faire la différence entre l’ami et le chef ? Car oui, Orion considérait avant tout Zéphyr comme un ami et non comme un supérieur. Pour ce qui était du réseau d’espionnage, Orion étant le Vent, il ne connaissait que son propre réseau et, de toute façon, il serait prêt à le partager de son plein gré avec une entité telle que Savoir. Ce-dernier étant un chasseur de pro-Titans, alors qu’il se servît, sans la moindre hésitation. Le Vent du Reike était un être pragmatique et, s’il devait vendre son propre réseau pour le bien de son pays, il le ferait, sans la moindre hésitation. Et c’est justement ce qu’il vînt de faire.

Soudain, devant les prunelles écarlates du Vent s’ouvrit un second œil chez le démon. Un œil qu’Orion trouvait tout simplement magnifique, bien plus resplendissant que le premier et surtout, bien plus effrayant. Lorsque le mot « Jugement » fût prononcé par son interlocuteur, un frisson parcourut son corps. Il comprit qu’il était en face d’un sérieux danger, que sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Cette épée couverte d’un sang noir et pourri, elle était effrayante. Et, cherchant dans ses entrailles comme si de rien n’était, le démon sortit un livre ancien aux pages immaculées et semblant être de fines couches d’acier. Un nouveau Champion ? Intéressant. Orion était donc considéré comme un Champion par Savoir. Bien qu’il n’eût pas la moindre idée de ce que cela signifiait pour lui. Le maître des ombres devait dès à présent prouver son aptitude au combat, sa capacité de vaincre les Titans eux-mêmes. Le démon attendait-il une démonstration du pouvoir d’Orion ? Cela, il ne le savait pas, mais c’était là son interprétation propre. Le sourire aux lèvres, dissimulées sous un voile d’acier fin, le Vent laissa sa douce voix déformée briser la barrière érigée par ses lèvres fendues.

- Si telle est ma destinée. J’accepte de te faire une démonstration de mon aptitude au combat. Démon. Aussitôt ses paroles prononcées, Orion usa de sa magie des ténèbres pour laisser des ombres s’échapper de sa silhouette. Elles rampaient à grande vitesse, se répandant tout autour de lui et du démon. Puis, dans une danse frénétique, le chef-espion usa de son sortilège de téléportation pour prendre la place de ses ombres. Il esquivait chacun des rayons lumineux projetés par savoir, ses derniers déchirant les ténèbres d’Orion dans un sillon lumineux aussi splendide que mortel pour le jeune homme. Chaque ombre possédant la silhouette de l’assassin s’était faite décapiter. C’était là le sort qui l’attendait s’il ne parvenait pas à être suffisamment rapide, s’il se laissait surprendre par Savoir, s’il n’avait pas ses réflexes surhumains. Une fois cette danse mortelle terminée, le chef de la Cellule du Vent réapparu face à Savoir. Ses prunelles écarlates glissèrent le long du corps décharné de l’ignoble créature, avant de finir sa course dans ce nouvel œil, magnifique et effrayant à la fois. La voix déformée par le voile d’acier de l’assassin brisa un silence mortel, venant capter l’attention de son interlocuteur, alors qu’autour d’eux, plusieurs cratères étaient apparus.

- Ma force ne réside pas en ma capacité à me battre au combat rapproché ni même en la manipulation de la magie des ombres. Puis soudain, il disparut de nouveau pour réapparaître jusqu’au-dessus de Savoir. Elle réside en ma capacité à surprendre l’adversaire que j’affronte, dans une domination imperceptible. Aussi rapide que le Vent, je suis un être imprévisible, jouant de mes cibles avant de les abattre de sang-froid. Il réatterrit juste à côté du Démon, enfonçant la lame de son gantelet dans la terre, devant ce qui semblait être les pieds de la créature. Comprends-tu ? Mon devoir en tant que Vent du Reike est d’exterminer la menace que représentent ceux qui adulent les Titans. Ceux qui sont prêts à réveiller de faux dieux pour dominer le monde. Son délicat visage masqué vint capter l’attention du Démon, alors que sous son masque fendu, un léger sourire fleurit. M’aideras-tu dans ma quête, Savoir ? M’aideras-tu à éliminer la menace que représentent les personnes ayant pénétré dans cette grotte à l’intérieur de la montagne?

CENDRES

La Juge observe attentivement chaque miette de l’étalage des pouvoirs du prosécuté, la série de téléportation et de substitution entre ses différents clones d’ombres parvient un moment à lui acheter l’avantage dans le combat tandis qu’Éva découpe les silhouettes spectrales une par une. Chaque nuage de pénombre qui se disperse aurait pu signifier la fin de l’espion, chaque rayon de lumière qui fuse dans une incandescence condamnatrice à travers les airs marque une sentence éventuelle que le candidat à l’épreuve ne peut se permettre de souffrir. Pendant que l’un danse autour de son examinateur, l’autre ne bouge pas, s’épargne les mouvements inutiles, son oeil se contente simplement de pivoter sur le filament organique qui le porte pour suivre les déplacements de sa cible. Un dernier clone mort la poussière en se dissolvant en volutes noirâtres vers le ciel, et l’oeil du Jugement se reporte lentement vers la source de la voix qui s’adresse à elle. Cessant momentanément d’utiliser de sa magie, la crinière de lumière filandreuse qui l’encense se résorbe légèrement. Observante, elle le voit pourtant disparaître de son champ de vision mais le son continue de lui parvenir… d’au dessus. Éva lève son unique oeil pour constater le déplacement instantané dont a fait preuve l’assassin, mais une estimation rapide de sa position et de sa trajectoire dans l’espace lui laisse penser qu’il ne pourra pas la toucher, et Savoir le laisse donc retomber au sol devant lui pour voir sa lame s’enfoncer dans la poudreuse à ses pieds. Alors qu’il se relève pour lui demander son aide à l’intérieur de l’entrée de temple, la voix faussement maternelle de la Juge résonne à nouveaux, cette fois juste devant le visage masqué d’Orion:

”Le Jugement, est l’ultime livrée de ta valeur sur la balance divine. Ne le prend pas à la légère. Ton destin en dépend.”

Comme pour joindre le geste à la parole et faire comprendre à l’audacieux qu’il ne s’agissait pas que d’un simple exercice de passe-passe, la pupille noire d’Éva vire rapidement au blanc tandis que sa couronne s’accroit brusquement d’un mètre. L’espion pris de cours parvient à se téléporter in-extremis dans le dos de la créature poly-oculaire pour éviter le faisceau désintégrateur qui laisse dans la terre une rigole fumante sur plus d’une dizaine de mètres. Au moment où le métal de sa lame s’apprête cependant à porter un coup à l’entité, son arme rencontre l’Épée du Jugement qui glisse par télékinésie entre les jambes de Savoir avec une trajectoire improbable. L’oeil d’Éva effectue un demi-tour complet pour contempler l’acier du masque inexpressif et continue sur son ton sempiternel:

”Crois-tu que les Titans se contenteront de si peu?”

L’iris d’Éva au repos peut rappeler la constellation d’une voûte céleste, avec son éphitéllium noir comme la nuit qui se confond presque avec sa pupille centrale et les diverses particules d’un mélange de doré et de bleu azur, il paraît vous renvoyer une image de l’infini cosmos des étoiles. Ces taches normalement bien ancrées dans l’organe optique commencent cependant à enfler, elles semblent prendre du volume et se décoller du tissu optique d’Éva pour rejoindre le confin du cristallin et commencent à perler au travers de la muqueuse pour venir à l’air libre.

”Nous apportons le Savoir, tu connaîtras l’adversité.”

Les minuscules sphères semblables à des lucioles décollent du globe oculaire et restent en suspension dans les airs pendant une fraction de seconde puis, alors que l’espion s’écarte pour mettre de la distance entre lui et la créature imprévisible, une d’entre elle se scinde en deux et chacune grossit pour regagner la même taille, projetées dans des directions opposées, toujours en lévitation. À une vitesse affolante chaque particule de poussière lumineuse procède à une série incontrôlable de mitose magique et bientôt l’espace de leur affrontement se retrouve parsemé d’un véritable champ de ces étincelles irradiantes. Tandis que son adversaire s’efforce de se tenir hors de portée, Savoir continue de déclamer:

”Auditionne ton âme face au cycle éternel. Éprouve ta force.”

Deux des particules lumineuses proches d’Orion commencent à scintiller avec une intensité aveuglante, et l’instant suivant un trait brutal de lumière fait irruption entre les deux l’espace d’une fraction de seconde, la chaleur que l’arc longiligne a laissé derrière lui ne laisse aucun doute sur le funeste sort de ce qui ce serait tenu dans sa course, et d’autres particules commencent déjà à scintiller de plus belle avec un bourdonnement sourd.

”Celui qui se trouve pris au dépourvu n’aura jamais la chance de se défendre si ce n’est l’échec de son bourreau. Pour ce dernier, sa préparation, sa volonté et son talent sont tous des fils qui décident lorsque l’acier rencontre la chair, de quel côté le sang coule.”

Un chemin d’arc lumineux tranche les airs alors que l’espion met en oeuvre ses compétences pour garantir sa survie. Éva constate déjà dans sa façon de se mouvoir, la réalisation du danger auquel il fait face, elle se satisfait de cette force insoupçonnée qui anime les combattants, ceux qui connaissent la peur, ceux qui connaissent la mort, ce sont eux qui peuvent ultimement l’affronter lorsqu’elle sera de nature divine. Les mortels oisifs qui se prélassent dans la paix et l’innocence, ceux qui ne participent ni à l’effort de guerre, ni à l’épanouissement de leur civilisation, sont des âmes sans valeur qui peuvent rejoindre les Gardiens et retenter leur chance.

L’ignorance est une menace.

Savoir est la purge.

Éva est la Juge.

Para Bellum

Feat. Savoir

Le destin. Une chose en laquelle peu de personnes croyaient et pourtant, personne n’y échappait et cela, le chef de la Cellule du Vent ne le savait que trop bien. Il était un fervent croyant du destin, il pensait que chacune des choses lui arrivant était écrite à l’avance. Seules les décisions prises et les choix faits pesaient dans la balance, changeant irrémédiablement l’avenir, mais pas son destin. Pensait-il pour autant qu’il n’eût pas le moindre libre arbitre ? Non, bien évidemment. Car si tel était le cas, cela voudrait dire qu’une force supérieure régnait sur le Sekai. Un Dieu. Et pour lui, cela n’était guère possible. C’était d’ailleurs bien là la raison pour laquelle il se battait jour et nuit, pour laquelle il risquait sa vie. Faire comprendre aux êtres vivants qu’ils eussent le choix de leur avenir, que les Titans ou bien d’autres entités n’étaient en rien des dieux qui dictaient leur destinée. Alors que le chef-espion se téléporta derrière l’entité démoniaque pour esquiver une attaque et lui porter un coup, il fut stoppé par une épée en lévitation. C’est alors que la voix d’Orion, déformée par le voile d’acier, se déforma pour être captée par le Juge.

- Ma destinée n’est pas de mourir ici et aujourd’hui, démon. Je le sais, je ne suis moi-même pas capable d’affronter un Titan en combat singulier, je ne suis pas fou. Cependant, je lutte sans relâche pour affaiblir leur influence sur le Sekai tout entier, afin d’affaiblir leur puissance pour que le Reike les réduise à néant. Voilà ce pour quoi je suis né, démon.

Soudain, l’iris de l’œil démoniaque semblait prendre une autre forme, ressemblant parfaitement au magnifique ciel parsemé d’étoiles que le chef-espion aimât tant observer, en tout temps et, en tout lieu. Il fit une cabriole vers l’arrière pour marquer quelques pas de distance avec Savoir, rengainant sa lame tranchante comme un fil de rasoir dans son gantelet. Il atterrit en ployant un genou, de manière à le poser au sol puis, il s’appuya sur la main gauche et leva la tête pour observer le démon qui le surplombait. Le spectacle que lui offrait le démon était tout simplement magnifique, il ne pouvait en demander plus en l’instant. Magnifique ? Était-ce là l’objectif de l’entité recherchant la connaissance ? Non, et Orion le savait très bien.

Deux particules se mirent à briller d’une manière aveuglante, se reflétant sur l’acier de l’armure d’Orion. Ce dernier, aveuglé, porta sa main gauche devant son masque d’acier, de manière à protéger ses prunelles écarlates, dont les paupières semblaient se fermer petit à petit. Puis, un rayon lumineux, semblant aussi meurtrier que les rayons solaires, glissa juste à côté du visage du Vent. La chaleur s’en émanant marqua le masque d’acier d’Orion, d’une tache noire, telle une brûlure. La chaleur put même traverser l’une des fentes du masque, marquant le visage du Vent d’une légère brûlure parfaitement dessinée juste à côté de sa bouche.

Orion fit tomber le masque afin de se frotter les yeux, ces derniers ayant été touchés par la luminosité trop forte. En un bruissement sourd, l’acier du masque claqua contre le sol rocailleux et, le visage du chef-espion fut à découvert. Sa chevelure immaculée, mi-longue, s’échappa de sous sa capuche pourpre, qui tomba elle aussi. L’assassin passa sa main gauche sur son visage, de nouveau, pour l’éponger comme si la sueur se mit à couler de son front. Rouvrant ses rubis, Orion vit une nouvelle concentration de lumière juste devant lui. Était-ce la fin ? Déjà ? Non. Il esquiva l’arc lumineux de peu, en se propulsant vers la droite, ce dernier ayant même réussi à légèrement trancher la chair de son bras droit, déchirant la soie pourpre de son armure. Un léger effluve carmin s’échappa, venant peindre le sol de cette couleur à la fois vive et sombre.

Sans plus attendre, Orion invoqua deux shurikens rotatifs et les projeta en direction du démon. Il ne manquait que très rarement sa cible ? Serait-ce le cas ? Il ne l’espérait pas. Ensuite, rapidement, il dégaina les lames de ses gantelets, puis se téléporta derrière le démon, à l’aide d’une de ses ombres. Rapidement, il fondit sur l’entité démoniaque, ses lames aussi tranchantes que des rasoirs rencontrèrent la matière organique composant l’être de Savoir. Et rapidement, sans même prendre le temps de réatterrir, il usa de son adversaire pour se projeter en l’air. Il invoqua plusieurs ombres tout autour d’eux et épia les arcs lumineux du démon ainsi que l’endroit visé. Il était prêt, prêt à se téléporter à tout moment, pour esquiver les assauts de la créature. Et, au moment venu, lorsque le prédateur aurait fini son petit jeu de lumière, Orion fondrait sur lui pour terminer l’épreuve du jugement. Il se battrait jusqu’au bout, se refusant à la mort aujourd’hui car, il le savait, ce n’était pas ici qu’il dût mourir. Tel était son destin.

CENDRES

Tandis qu’Éva place enfin un visage sur le nom d’Orion Yamveil, le combat reprend avec cette fois une impétuosité accrue, le réseau pernicieux de particules démoniaques laisse dans les airs des traces lumineuses dans le sillon des déplacements de l’espion. Dès que le reikois se déplace, il se retrouve obligé de jongler entre son attention sur la créature poly-oculaire et les différentes perles dorées qui menacent à tout moment de le découper. Il forge habilement deux projectiles ombreux qu’il envoie virevolter en direction du Démon, et quand Éva distingue la trajectoire des deux étoiles de lancer spectrales, elle distort sous l’impulsion de sa mana deux des paillettes de lumière sur le chemin pour le faire prendre des formes d’écran qui s’interposent aux projectiles. Un des deux disque tournoyant de ténèbre parvient cependant à perforer la protection et passe au travers, continuant de fuser droit sur le corps de Savoir qui se retrouve contraint d’ordonner le mouvement de l’Épée du Jugement, passant subitement de l’offensive à la défensive quand le métal de l’arme rencontre les ombres tangibles du shuriken pour le dévier de sa trajectoire. L’étoile se fiche dans la neige à quelques pas du Démon, et il reporte son attention sur l’espion reikois qui lui file dessus à vive-allure.

Habile.

En récompense de cette manoeuvre de diversion rondement menée, les lames du chef de cellule s’enfoncent profondément dans le tas de viscère au bas du ventre de Savoir, et alors qu’une bile vilaine et noirâtre s’échappe de l’amalgame informe de chairs putréfiées, le combattant ne reste pas immobile plus que nécessaire et profite de son appui macabre pour s’élancer dans les airs en dispersant lui aussi autour d’eux ses agents élémentaires. Il ne s’agit cette fois pas de fines particules à l’instar de l’azsharien, mais plutôt de nouveaux clones d’ombres qui fondent ensemble sur la créature ancestrale.

”Si la précipitation est le dernier acte des téméraires…”

La voix de la Juge accompagne une mauvaise augure pour le Reikois, chaque poussière flottante du nuage dans lequel il évolue se met à doubler de taille, tandis que leur éclat devient subitement terni… s’il n’était pas en plein vol il aurait peut-être pu remarquer la concentration soudaine de leur intensité lumineuse dans le coeur même de ces petites sphères, mais le tout dura si peu de temps qu’il lui fut impossible d’en discerner ce détail d’une beauté mortelle. Tout ce qu’il pu voir fut l’accroissement de leur diamètre, accompagné d’un bourdonnement intense qui ne présageait rien de bon, et alors qu’il retombait vers Savoir sous l’effet de la gravité, les déflagrations explosèrent. Chaque petite perle devenue une bombe de lumière détonna d’un coup après avoir amalgamé l’afflux de puissance supplémentaire fournie par la Juge, faisant retentir un vacarme assourdissant en plus de projeter un éclat tumultueux sur l’ensemble du paysage. Alors que le Démon se tient debout devant la façade montagneuse du temple, la neige autour de lui complètement fondue par l’intense rayonnement dégagé, les marques de sa dernière attaque encore bien lisibles sur la terre, l’oeil d’Éva regarde le ciel étoilé là où il y a encore quelques instants se tenait le chef de la cellule du Vent. La voûte céleste ne témoignait plus d’aucune trace de lui ni de ses clones, dispersés par la puissance de feu déployée.

”...et que le remord est celui des apeurés...”

L’oeil du Jugement, sa crinière étincelante se résorbant jusqu’à retourner se cacher à l’intérieur de la rétine d’Éva, pivote sur le filament organique qui le porte pour regarder son corps humanoïde. Il contemple la fine pique d’ombre qui ressort de son ventre, trahissant la présence silencieuse de l’assassin qui se tient derrière elle. Devant l'annihilation prochaine de lui-même et de ses imitations spectrales, l'assassin avait modifié la forme de son shuriken d'ombre planté non loin de Savoir pour lui faire adopter la forme d'un corps et l'avait ensuite utilisé pour intervertir sa place avec celui-ci.

”...le guerrier entraîné agit à point nommé. Tu as réussi.”

Indifférent aux dégâts corporels qu’il a subit, Savoir tend vers l’avant son bras décharné alors que le Livre du Jugement se dépose délicatement dans l’agencement de serres effilées, ses pages de métal souple tournent jusqu’à atteindre leur but, et devant deux feuilles pourtant parfaitement vierges, Éva semble y lire quelques informations avant qu’un faisceau lumineux ne surgisse de son cristallin pour graver à chaud sur l’acier. Une fois l’opération terminée, la voix féminine de l’examinatrice reprend:

”Orion Yamveil, Arbitre, et Champion.” elle marque une courte pause avant de commencer à s’avancer, glissant le long de la dague ombrale qui l’empale au niveau des reins pour s’extraire de là, puis en se retournant pour faire face au reikois elle ajoute, ”Il est temps de purger les âmes perdues qui se sont égarées dans l’ignorance ici-bas.”

Para Bellum

Feat. Savoir

Tout au long du combat, l’étrange voix de l’entité démoniaque résonna dans cet endroit où le jeune Yamveil parvenait à se déplacer avec grâce et élégance, mais surtout avec discrétion et habilité, tel un poisson dans la mer. Il se servait de son environnement pour abattre son courroux sur sa cible, il se fondait dans l’ombre pour parvenir à tromper son adversaire. Et, ce fut, étrangement, un grand succès, combativement parlant. Puisque, en plus des informations fuitées plus tôt, Orion avait fait tomber son masque, son voile d’acier, dévoilant, en plus de son nom, son visage, à un démon, un potentiel ennemi du Reike. Mais, pourquoi alors serait-il un ennemi du Reike, s’il était l’ennemi des Titans ? Après tout, l’ennemi de mon ennemi est mon ami ? Était-ce le cas ? Qu’importe. Ce qui était fait, était fait et, l’entité démoniaque répondant au nom de Savoir savait.

Enfin revenu devant son interlocuteur, Orion épia le moindre mouvement prodigué par le démon. Il était légèrement blessé, normal, il n’était pas plus agile que la moyenne, il n’avait pas pu tout esquiver. En plus de cela, il eut une légère blessure sur la joue, un sillon sanguin, dont le fruit coulait le long de sa joue blanche. Un simple passage de la main suffit à essuyer le sang. Ses prunelles restaient ancrées sur son vis-à-vis, portant un regard légèrement assassin, sans pour autant qu’il eût envie de le tuer. La lueur émise par le cristallin du démon, semblant graver quelque chose sur l’acier, éclairait légèrement le pâle visage d’Orion. Cette même lueur se reflétait dans ses rubis, dirigés sur les pages d’acier pourtant vierges. Orion Yamveil, Arbitre et Champion. Qu’est-ce que cela voulait dire ? La moue interrogative, le Vent laissa ses prunelles glisser en direction de l’œil ouvert, du Jugement.

- Arbitre ? Champion ? Qu’est-ce que cela veut dire, Savoir ? Une question qu’il ne posât pas à la légère, il le savait. Qu’y a-t-il sur ces pages d’acier ? Que viens-tu de graver à l’aide de ta magie ? De nouvelles questions, encore une fois, sincères. Il ne les posait même pas en tant qu’espion du Reike, mais bien en tant qu’Orion. Il fit une légère pause, attendant l’éventuelle réponse de l’entité démoniaque, puis il reprit. Très bien. Entrons dans ce sanctuaire ou, que sais-je.

Le Vent du Reike, rapidement, s’avança, afin de récupérer son masque d’acier. Maintenant que l’éprouvante épreuve était terminée, l’assassin pouvait se revêtir de cette précieuse façade. Avec la soie composant les manches de son armure, il essuya les résidus de brûlures déposés plus tôt sur son masque, puis, il le replaça sur son visage. De nouveau, ses prunelles carmines perçaient les ténèbres s’entourant autour de lui. De nouveau, sa voix fut déformée, grâce à sa magie et à l’acier composant ce voile. Il leva ensuite la tête, observant la porte du sanctuaire. Les rayons lumineux projetés par l’œil du démon avaient légèrement creusé la roche. De ce fait, il put en déduire que la porte était bien trop épaisse pour l’ouvrir si simplement, alors, il se retourna, en direction de son vis-à-vis, puis, il laissa sa voix difforme s’échapper d’entre ses lèvres.

- Savoir, penses-tu pouvoir percer l’épaisseur de cette grande porte ? Je peux facilement me glisser de l’autre côté, mais je ne connais absolument pas le mécanisme permettant de la déverrouiller. À moins que, tu préfères que nous nous téléportions tous deux de l’autre côté ? Ainsi, personne ne pourra rentrer et, personne ne pourra sortir. Seulement, cela présente un risque. S’ils nous attendent, ils pourront facilement nous piéger. Je te laisse donc décider quoi faire de la suite, quoi qu’il en soit, je me fierai à ton jugement.

CENDRES

”Qu’est-ce que cela veut dire, Savoir?”

Le regard ésotérique de la Juge apaisée fixe un point mystérieux derrière l’espion du Reike, les particules de lumière qui constellent son iris azurée dansent dans l’organe oculaire avec une harmonie hypnotique tandis que sa voix répond, d’un ton aussi éternellement serein et réconfortant:

”Que tu as un rôle à jouer mortel.”

La consternation du principal concerné exprime tout à fait l’insatisfaction d’une telle réponse, mais Savoir ne peut se permettre d’apporter trop de clarification alors que la pupille d’Éva revient lire les symboles anté-diluviens gravés dans les pages d’acier du Livre du Jugement. Orion Yamveil. Arbitre. Champion. Balance. Obscure. Corruption. Racinaire. Le Démon de la Connaissance contemple les informations avec une certaine précaution, lorsque l’iris bleutée procède à un Jugement réussi, la transe qui s’ensuit pendant laquelle Éva marque le Livre lui apporte des informations dont elle n’avait auparavant pas conscience, quand bien même elle les inscrit par elle-même, et dans le cas du chef de cellule, les concepts cosmologiques renseignés par son ordalie victorieuse sont puissants mais pernicieux, l’azsharien pondère un instant de plus la situation et décide cette fois d’occulter la connaissance. Le Livre se referme d’un claquement télékinésique pour soustraire au regard curieux d’Orion les doubles pages rédigées, et l’objet revient flotter au dessus de l’épaule du Démon.

”La connaissance est un poids, et il y a des fardeaux qui ne doivent être portés. Tu n’es pas encore prêt pour ces informations.” Et alors que la lame en lévitation désigne l’entrée du temple, Savoir reprend. ”Entrons.”

Le manque de traits faciaux impaire inévitablement la compréhension de la psychée de Savoir pour ceux qui le côtoient, et il est difficile lorsque ses pupilles ouvertes ne dévisagent pas leurs interlocuteurs de s’assurer que l’entité démoniaque les écoute, lorsque l’assassin expose donc ses réflexions analytiques concernant leur entrée dans le complexe souterrain et qu’Éva se contente d’ausculter la porte du regard, il pourrait sembler que le Démon n’en ait rien perçu. Pourtant après un bref instant de silence pendant lequel seul le vent apporte une réponse sifflante au Vent, la voix maternelle de la Juge réagit enfin:

”Ces remparts sont tels la foi qui meut les coeurs des égarés, des illusions maçonnées dans les ténèbres…”

Froid et pragmatique, Savoir ne cherche qu’une chose dans l’instant: l’élimination des suppôts des Titans, et nulles précautions ne sauraient lui être nécessaire dans l’accomplissement de cet objectif. Si chaque âme a le potentiel de jouer un rôle dans la grande trame du combat ultime, cette capacité à se battre pour la survie est conditionnée par le vécu des mortels qui arpentent le Sekaï, et en tant que Démon Savoir se nourrit de ces éclats d’âmes libérés dans la lutte des vivants contre l’existence. Les Titans veulent mettre fin à ce cycle perpétuel, ils souhaitent faire table rase, repartir de zéro et reconstruire un Sekaï peuplé de mortels servils comme autrefois. Ni le Désintégrateur d’Azshary ni ses soeurs, ni les mortels, ni les Champions ne les laisseront faire. Quant à ceux qui décident envers et contre toute rationalité de soutenir le plan d’éradication des Divins, ces âmes en peine peuvent retourner dans le cycle éternel de la réincarnation et revenir à la vie dans des dispositions plus éclairées. Tout le monde a un rôle à jouer, mais parfois pas dans cette vie là. La téléportation serait impossible pour Savoir qui n’est jamais rentré à l’intérieur du temple, il serait trop dangereux de laisser Orion entrer seul à l’intérieur et ce dernier étant un Champion, le Démon de la Connaissance ne peut se permettre de le laisser courir un risque aussi inutile quand une autre alternative existe. Les particules luminescentes dans l’iris de Savoir se mettent à se rallonger si fortement que les filaments qu’elles dessinent atteignent presque le sol, faisant paraître la Juge pour une sorte de fleur lugubre dont les pétals menaçants s’incurvent légèrement vers l’avant.

”... balayés par la première Lumière qui les illuminera.”

Un amas radieux de cercles concentriques successifs aux diamètres irréguliers se manifeste soudainement devant l’entité démoniaque, Savoir arque son dos vers l’avant et ses jambes aux ramifications filiformes se plantent dans le sol, étalant les appuis d’avant en arrière afin d’assurer son équilibre. Des raies de lumière fusent alors des environs pour venir se concentrer en une sphère d’un blanc aveuglant juste devant la pupille de la Juge, sous la concentration intense d’énergie magique, un vrombissement crescendo emplit les environs et monte dans les aigus avec l’accumulation de la charge de mana. Braqués en direction de la façade du temple, les cercles s’élargissent lentement pour permettre le passage de l’attaque à travers les arceaux, et lorsque le bourdonnement maintenant assourdissant de la sphère magique s’interrompt l’espace d’une demi-seconde, il est suivi par la déflagration catastrophique. Un faisceau comparable à celui qui avait rasé une partie de Kaizoku éventre la façade montagneuse dans un suintement de désintégration suraigu, l’odeur de brûlé se disperse instantanément dans les parages alors que l’éclat de lumière fait fondre la neige à plus d’une vingtaine de mètres à la ronde, et les bruits d’explosion de la roche frappée de plein fouet détonnent dans les échos des montagnes. Lorsque le calme revient enfin sur le duo punique, un tunnel géométriquement quasi-parfait se tient là où leur faisait encore face quelques secondes auparavant les imposantes portes du temple des cultistes. Des volutes de vapeur accompagnent le refroidissement de la pierre incandescente qui se vitrifie sur les pourtours du passage nouvellement créé, quelques flammes timides bordent par endroit les reliquats de la désintégration luminescente et l’air tremblant de chaleur se stabilise à nouveau.

Comme si la montagne elle-même pouvait émettre un râle de douleur, des cris de terreurs lointains leur parviennent, mais il ne s’agit que de la réverbération des fervents pris au piège dans les souterrains qu’ils s’apprêtent à nettoyer. La crinière de la Juge se rétracte jusqu’à un demi-mètre de diamètre et l’azsharien qui avait reculé de quelques pas sous la puissance de la frappe se met en marche:

”La voie nous est montrée. Il nous incombe de mettre un commencement à leur fin.”

Avançant au milieu des débris encore fumants de l’entrée du temple, le Démon pose ses pattes griffues sur la pierre brûlante et ses appendices décharnés semblent ignorer la gêne causée par sa propre chair qui fond au contact de la roche, laissant à chaque pas de fines traces de chitine liquéfiée dans le sillage de la créature, Éva procède, implacable. Derrière les imposantes portes dont l’épaisseur est maintenant apparente à travers la découpe surréaliste, certains chapiteaux des colonnes de soutènement du vestibule s’effondrent en l’absence du corps qui les maintenaient en place, quelques débris chutent du plafond à des intervals irréguliers, et le silence escorte les deux combattants dans l’antre des cultistes. En désintégrant la pierre à chaud, la carbonisation de l’air même macule les pourtours de la roche d’une couche de suie plus noire que la nuit, mais à certains endroits des tâches plus clairsemées indiquent une combustion partielle de la pierre en surface, laissant supposer la présence d’un combustible plus gras qui aurait dissipé l’énergie plus efficacement qu’à travers une brutale réaction. Des taches de graisses dont l’origine est plus qu’apparente lorsque Savoir marque une pause en avançant dans les décombres pour trouver une masse calcinée à la bordure du tunnel d’impact. L’oeil de la Juge fixe en silence le tas difforme, recouvert d’une couche de derme fondu, de ce qui devait être il y a une minute un être vivant. Alors qu’il s’apprête à se remettre en route, un sifflement rauque et archaïque attire l’attention de Savoir vers la paroie opposée. L’optique pivote sur le filament sans un mouvement superflu de son détenteur et observe la moitié de corps d’un demi-elfe qui s’arrête abruptement sous le périné. Un membre antérieur carbonisé est distinct malgré la peau et les muscles liquéfiée qui ont coulé le long de l’os comme une crème trop liquide, et la poitrine du mourant se soulève encore avec crachats ensanglantés et crissements trop aigus. Le demi-elfe lève son bras mort avec le mouvement d’une épaule à peine fonctionnelle, et l’avant-bras dont la position n’est plus maintenue par des tendons ou des ligaments brûlés tombe purement et simplement de l’articulation du coude. Le regard d’Éva revient devant elle sans un mot, déviant de sa victime pour reprendre sa procession silencieuse, tandis qu’après s’être éloignée l’Épée du Jugement file dans les airs à sa suite, se fiche dans le crâne du rescapé et s’en extirpe en un seul mouvement, ne faisant de bruit que le glissement maladif du métal dans la chair et le soupir viscéral du blessé qui expire.

Après la salle d’entrée imposante dont les ravages n’ont pas laissé la moindre résistance s’opposer aux deux inquisiteurs, une série d’escaliers descendent dans les entrailles de la montagne et s’engouffrent dans une nappe opaque d’ombres fantastiques. Le Démon regarde tour à tour le chef du Vent puis les marches, et sa voix bien trop douce pour le carnage qu’il vient de causer exprime sa réflexion:

”Les rats grouillent dans les moindres des recoins, ils trouveront toujours un moyen d’échapper aux flammes justes qui les menacent, ceux qui se terrent ici ont sans doute leur réseau de galleries et un avantage certain du terrain… nous ne sommes pas les meilleurs en reconnaissance.” Savoir se retourne complètement vers celui qu’il a jugé tantôt, en l’absence d’autre option, il allait cette fois falloir se reposer sur l’option risquée. Orion Yamveil avait passé l’épreuve du Jugement avec brio, maintenant il allait devoir démontrer son mérite. ”Après toi.”