La nature fait bien les choses | [Feat. Xera]

Les premières feuilles tombèrent aux alentours de la mi-septembre. À cette époque, Kosmos parcourait encore les grandes villes de la République et s’était surprise de ne pas prêter grande attention aux changements estivaux. Elle, qui se dévouait corps et âme à la nature en prévision de chaque équinoxe, écumait à présent le Sekaï, insouciante du rôle qui jadis fut le sien. Un bourgeon avait éclos dans son for intérieur et de nouvelles perspectives grandissaient jour après jour l’amenant à repenser son mode de vie. Si son voyage avait été semé d’embûches, les quelques moments de répit se suffisaient dans cette grande aventure. Une vie de vagabondage, de découverte et d’inconnue. La gardienne avait entre autres appréciée les courants marins de Courage comme la grandeur de Justice, pourtant c’est bien la douce Liberty qui sut décrocher son cœur. Belle par ses principes, la cité du sud offrait une mixité impressionnante et se dressait comme terre d’accueil aux abandonnées. Un endroit idéal pour élire domicile songeait parfois l’élémentaire. Peut-être est-il temps de se jeter dans le monde, vivre dans la grande pomme cosmopolite ?

Toutefois, cela revenait à quitter une bonne fois pour toute la forêt. Ces contrées vertes qui l’ont toujours bordée. Faire ses adieux aux grands pins couvrant le ciel, aux ruisseaux caressant l’herbe fraîche et aux habitants à fourrure qui bercent ses nuits. Pensive, le retour de Kosmos dans ses bois natals n’avait pas manqué de complexifier sa décision. La centaure appréciait tant galoper à travers les troncs acajou, portée par toute la beauté d’un être profondément connecté à sa nature. C’était son territoire naturel. Elle était une élémentaire végétale, s’arracher à cet univers revenait à briser une part de son essence. Ainsi, se perdait-elle des nuits durant dans ses pensées, attendant un quelconque signe qui assurément l’encouragerait dans ce pari tant risqué qu’était le monde urbain.

Alors résolue à connaître l’opinion de la nature sur cette question cruciale, Kosmos s’était enfoncée dans les profondeurs même des entrailles de ces bois. À cette hauteur, les quelques rayons du soleil qui parvenaient encore à découper la cime des arbres, éclairaient avec peine le sol, tandis que le doux vermeil d’automne cédait finalement sa place à une couleur auburn tacite, presque palpable. Seuls les champignons phosphorescents cachés entre les racines guidaient son inlassable pèlerinage. La gardienne avançait avec la plus grande précaution dans la crainte de réveiller une bête courroucée, le danger se cachait partout. Néanmoins, la zone sourd de bruit, berçait l’élémentaire d’un calme nouveau. Il lui sembla à cet instant qu’elle s’aventurait dans une partie de la forêt où personne encore n’avait posé les pieds. Un endroit presque mystique où les échos d’un esprit sylvestre viennent trouver refuge vers l’émeraude des branches. Kosmos était pour ainsi dire perdue et pourtant elle sentait la puissance du monde végétal.

– Ô, Nature, mère de toute vie, guide-moi. Révèle ma vue du néant qui m’aveugle. Encense-moi d’un message qui saura me trouver. Plus que jamais j’ai tant besoin de ta sagesse.

La paume des mains enfoncées dans le tronc d’un vénérable chêne officiant comme autel, Kosmos murmurait diverses prières à l’énergie qui imprégnait ces lieux. Dans sa quête seule la faune et la flore pouvaient lui venir en aide. Pourtant, perdue dans sa dévotion, l’élémentaire ne s’était pas aperçut qu’un être fait de chair et d’os arpentait de ses mèches rousses ce même lieu. Une demi-fae qui, tout comme cette dernière, cherchait des réponses là où la civilisation se termine et où le monde sauvage commence.

Octobre de l'an 4,

Dans les profondeurs de la forêt

Autant, elle avait apprécié son second séjour à Maël, autant l’herboriste de Nareim avait retrouvé avec joie la vision des habitations de Liberty, mais ce qu’elle avait apprécié encore plus ce fut de retrouver son cher village, sa maison, sa famille et surtout sa forêt. Ses neveux, nièces et leurs enfants avaient largement comblé son absence pour la tenue de l’herboristerie familiale. Cependant, elle avait bien senti leur soulagement de son retour. Ils étaient tous compétents, elle le savait bien, c’était elles qui les avaient formées, mais son sang de Fae faisait la différence. La magie coulait dans ses veines et n’avait pas encore révélé toutes ses possibilités. La rousse demi-fae pouvait calmer la peur des patients, qu’ils marchent sur 2 ou 4 jambes, et ses pouvoirs de guérison peuvent maintenant venir à bout de la plupart des maladies graves et des poisons mortels.

Malgré sa nouvelle puissance, son père doit toujours être maintenu en stase au sein du département de recherche magique. À ce jour, aucun remède efficace n’avait été découvert pour venir à bout de l’étrange mal qui le rongeait. Ce n’était pas totalement un poison, ni une maladie, ni une malédiction, mais un mélange des trois, c’était jusqu’ici la seule réponse que les chercheurs de l’université lui avaient apportée. La demi-fae n’allait pas abandonner pour autant, mais elle avait fini par comprendre que le chemin de la possible guérison de son père prendrait du temps. La mise en stase lui offrait ce temps, la jeune Fae continuait d’apprendre, de progresser laissant les chercheurs de Magic chercher de leur côté et elle du sien. Son père avait sombré dans des propos complètement incohérents quand il ne s’agissait pas de borborygme, avait évoqué l’esprit Sylvestre et un danger. Elle avait laissé cette piste quelque peu de côté. Pour elle et encore de nombreux villageois, l’existence de l’esprit sylvestre était une certitude bien qu’aucun ne l'avait aperçu.

Son séjour en ce qui fut la fédération de Shoumei, avait duré plus longtemps que prévu, lui faisant rater la célébration de l’équinoxe au cercle de pierre pour honorer l’esprit sylvestre. Bien qu’elle se doutait que cela ne dérangeât pas ce dernier de sa non-présence au Cromlech, cela lui avait manqué, même si elle l’avait célébré seule de son côté dans le jardin de l’hospice de Mael. Depuis son retour, elle sentait quelque chose en elle, une sensation étrange au plus profond de son être, mais elle n’arrivait pas à savoir de quoi il en retournait exactement. Chacune de ses pérégrinations dans la forêt ne faisait qu’augmenter ce ressenti tout en l'apaisant en même temps. Si bien qu’elle s’enfonçât un peu plus dans les méandres de la forêt à chaque fois sans manquer de s’arrêter dans son coin favori pour s’y baigner malgré la saison. Mais ce jour-là elle ne s'était pas arrêtée à l’étang, et avait continué à s’engouffrer dans les profondeurs de la forêt, quelque chose l’attirait, l’appelait presque. Était-ce l'appel de l’esprit sylvestre ? Xera n’en était pas sûr, mais décida de suivre son instinct, sans oublier de rester vigilante et de se déplacer le plus silencieusement possible aux aguets du moindre bruit suspect.

Et c’est là qu'au détour d’un tronc d’un frêne vénérable, l’herboriste de Nareim découvrit devant elle un être d’une espèce qu’elle n’avait encore jamais vu auparavant. Une sorte de centaure au buste de femme et au corps de biche ou de faon. Xera sentait son cœur battre fort dans sa poitrine, et ne pouvait détacher son regard de cette vision. L’étrange sensation dans sa poitrine se rappela à son bon souvenir d’une force jusqu’ici inégalée, au même moment les légendes qui lui racontaient son père sur une créature qui selon les versions enlevait les enfants des villages aux abords de la forêt ou bien à l’inverse elle guidait les âmes pures perdues au cœur de la forêt pour les ramener au près dès leur proche. Dans toutes ces versions, cette créature était considérée comme une émanation de l’esprit sylvestre. La demi-fae rassembla son courage, après tout l’esprit sylvestre ou sa gardienne l’avait guidée jusqu’ici, maintenant elle en était sûre, restait à savoir pourquoi.

- j’ai entendu ton appel gardienne de la forêt, je suis Xera fille de Xalbat, herboriste et guérisseuse de Nareim. C’est un honneur pour moi que de rencontrer celle à l’origine des légendes de mon enfance et une servante de l’esprit sylvestre.

Message 1

Kosmos sursauta en entendant la voix qui se portait à elle. Aussitôt, la gardienne se retourna lentement tout en serrant la branche qui lui servait de sceptre. Elle se tut un premier temps, inspectant de part et d’autre la nouvelle venue d’un œil inquiet. Bien qu’habituée dorénavant à la présence des bipèdes, l’élémentaire conservait son instinct primaire qui lui suppliait de s’enfuir. Ces rencontres passées l’avaient marquée à vie, transformant au fil des saisons sa douce innocence en une triste méfiance des autres. Cette dernière avait beau être devenue un faon courageux, se jetant de plein gré dans le Sekaï, elle n’en restait pas moins une proie, seule aux confins de la forêt. Toutefois, la femme ne semblait pas agressive ou lui vouloir le moindre mal. Sa voix était rassurante, ses cheveux orange comme l’aube et ses pupilles verts comme le feuillage printannier. « Xera », ce nom bien qu’inconnu sonnait comme une mélodie aux deux oreilles du centaure. Ainsi, ses quatre sabots se soulevèrent et, toujours à l’affût, la dryade s’approcha de l’étrangère. Était-elle le signe que Kosmos attendait ?

Kosmos avait entendu parler de « Nareim », un pittoresque village aux abords de la forêt. Un lieu que la centaure évitait depuis bien des lunes. Il s'agissait d'un hameau comme celui-ci qui avait jadis chassé l’élémentaire de ces terres. Une blessure qui se voulait encore béante et dont la guérison n’était pas garantie. Pourtant, le monde changeait et des êtres bienveillant qui savait reconnaître la beauté de la nature existait. Était-ce le cas de la guérisseuse ? La dryade voulut y croire. Cette dernière s’étonna de découvrir que ces légendes avaient persistées à travers les siècles. La plupart de ces racontars se basaient sur du bouche à oreille et de fausses rumeurs. Mais dans un sens cela la flattait de savoir que pour quelques individus, la Gardienne des forêts républicaines avait subsistée. Après tout, cela faisait bien longtemps qu’on ne la connaissait plus sous cette appellation. Dès lors, la créature fut assaillie d'une douce mélancolie, songeant aux soirées d'été qui bordait sa jeunesse. Kosmos se trouvait à l'automne de sa vie à présent et ce petit univers qu'elle s'était créée n'existait que dans ses souvenirs les plus lointains.

– N'as-tu pas peur de moi ? Ces mythes et légendes racontent pourtant que je suis une terrible dévoreuse d’enfant, il me semble…

Une fois à hauteur de Xera, elle laissa échapper un sourire et reprit.

– Je suis bien curieuse de savoir ce que tu as pu entendre sur moi… Je pensais que le monde m’avait oublié depuis fort longtemps. Oh, mais je t’en prie, appelle moi Kosmos , car tel est mon véritable prénom.

L'élémentaire semblait légèrement sur le qui-vive, elle n’avait pas remarqué l’arrivée de Xera visiblement, à sa place la rousse aurait réagi de même. Après tout, elles étaient au cœur de la grande forêt et les rencontres au hasard sous l’ombre des arbres majestueux peuvent vous être fatale. Cependant, la gardienne commença par se rapprocher de la position de la demi-fae tout en lui posant une question somme toute bien légitime.

- oui, certaines légendes vont bien dans ce sens, mais je ne suis plus une enfant, je sais maintenant que ces histoires-là étaient surtout là pour aider les parents face à leur progéniture récalcitrante à finir ce qui ne leur plaisaient pas dans leur assiette ou refusait d’aller au lit. De plus je ne suis plus une enfant et si jamais cela était vrais, je ne suis plus à votre goût

Une fois à sa hauteur, le visage de la dryade s’illumina d’un sourire, l’herboriste ne resta pas en reste et lui sourit en retour. La centaure lui adressa à nouveau la parole et avoua sa curiosité concernant les histoires que Xera avait entendues durant son enfance. Elle pensait que ces dernières avaient été oubliées depuis longtemps. Il est vrai que la plupart des familles humaines de Nareim connaissaient encore les histoires de la gardienne de la forêt grâce à Xera et à son père.

- Enchanté Kosmos, et bien les légendes de la gardienne de la forêt nous enseignent que cette dernière attire les enfants dans la forêt, si ces derniers ne sont pas des enfants sages, termine dans sa marmite et les autres sont rendus à leurs parents. Il y a aussi cette légende sur le chasseur avide et celui qui ne soustrait que ce dont il a besoin pour nourrir sa famille tout en respectant le cycle de la nature.

- Le premier, après avoir abattu sa première proie largement suffisante pour nourrir les siens, continue de décocher ses flèches pour abattre tout ce qui passe à la portée de son arc. Que ce soit les dernières porté ou les femelles pleines. Le second lui croise des jeunes lapins et malgré le besoin, il les laisse tranquilles, puis il tombe sur une biche à quelques jours de sa mise à bas, la encore, il renonce à décocher sa flèche.

- À la fin de la journée, le chasseur avide ne retrouve plus son chemin, il a beau s’y reprendre de nombreuses fois à chaque fois qu’il retrouve un sentier ce dernier l'entraîne encore plus profondément au cœur de la forêt, certains disent même que son spectre cherche toujours à sortir de la forêt.

- Quant à l’autre chasseur, en quête d’un gibier qui ne soit ni trop jeune ni porteur de la nouvelle génération, finit par se faire surprendre par un orage violent amenant les ténèbres sous les arbres et finit par ne plus savoir comment rentrer auprès des siens. Et c’est là que la lumière de la lanterne de la gardienne de la forêt apparaît non loin de lui et semble l’attendre pour le guider, notre humble chasseur se met à la suivre à distance raisonnable.

- à son retour parmi les siens, il affirma qu'à la faveur des éclairs, il avait aperçu la silhouette de la gardienne. Il était revenu sain et sauf, sans gibier, mais était tombé sur un fabuleux coin à champignon qui lui permit de nourrir sa famille.

Xera s’arrêta de parler, elle avait la gorge sèche d’avoir autant parlé en une seule fois depuis longtemps. Elle prit le temps de se saisir de son outre d’eau pour se désaltérer et en proposa à la gardienne de la forêt.

- pour tout vous dire ma famille, enfin surtout le côté de mon père, est un peu responsable de la longévité de ces légendes. Quand on me voit, ce n'est pas forcément évident au premier coup d'œil, mais ma mère était humaine et mon père lui est un fae.

Évoquer le souvenir de sa mère et de son père effaça le sourire qu'arbore l’herboriste de Nareim, son cœur se serra dans sa poitrine, mais elle se ressaisit quand son regard croisa de nouveau celui de Kosmos. Elle avait réellement devant elle, celle qui était à l’origine des légendes de la gardienne de la forêt. Une question lui brulait les lèvres aussi se lança t'elle sans plus attendre.

- Kosmos, avez-vous déjà rencontré l’esprit sylvestre ?