— AAAAAAARGH !

Mon cri jaillit enfin, libérant mon souffle oppressé qui fut jusqu'alors piégé dans ma gorge. Rendue sèche par l'angoisse et l'agonie. Son pouvoir résonna comme un sinistre écho, laissant derrière lui une vision cauchemardesque de désespoir, de damnation, et une profonde solitude qui m'engloutit. Où étais-je donc ? Où était Gunnhildr, ma régente ? Où était mon peuple ? Cet endroit me paraissait étranger et me laissait profondément confus. Un paysage déformé que je ne parvenais plus à reconnaître. Mes repères se dissipaient dans l'obscurité, tandis que ma mémoire s'efforçait de reconstituer les tapisseries déchirées, maculées de sang, profanées par l'horreur. Les récits et légendes de nos déités semblaient se dissoudre dans cette réalité nouvelle. Les jardins autrefois sacrés de Benedictus, jadis remplis de fidèles venant chercher l'amour que je leurs prodiguais, n'étaient plus que des vestiges lointains. Un amas de boue et de débris. C'était cette dévastation qui était aujourd'hui ma demeure.

Il me fallut attendre des jours, peut-être des semaines, avant que mes jambes ne retrouvent leur force. Avant cela, j'étais resté pétrifié dans le temps. Tel un ver, nu et vulnérable, je dus me traîner hors de ma crypte, me nourrissant de charognes et de pain moisi qui jonchaient le sol de la cuisine. Les jours passaient, l'eau devenait une denrée rare. Pour étancher ma soif, je buvais les flaques laissées par la pluie, les recevant avec grâce comme des offrandes des dieux eux-mêmes. Finalement, bien que considérablement affaibli, je réussis à me redresser, à me tenir debout. Cependant, chaque jour qui passait ne faisait que renforcer la résurgence de ma propre lumière intérieure, bien que mes larmes ne tarirent jamais. Je pleurais ce monde immergé dans les ténèbres, chaque jour plus profondément.

Les jours se transformèrent en semaines, et bientôt, de sinistres ennemis me traquèrent et me chassèrent de cet endroit devenu maudit. Je rassemblai ce qui restait en état. De simples haillons, des tenues témoignant d'une richesse passée. Le Sekai que je connaissais n'existait plus que dans mes souvenirs. Je ne pouvais demeurer ici, sans savoir ce qui s'était produit. Étais-je toujours le Monarque que j'avais été ? Étais-je encore lié par les règles du traité des trois factions ? Mon peuple était-il toujours en vie, ou étais-je le Monarque de ma propre solitude, suspendu hors du temps ? Finalement, je pris la décision de m'absoudre de cette responsabilité et de fuir ce danger omniprésent. Ainsi, je m'éloignai sans savoir où je me dirigeais. Comme un enfant sans sa mère. Jamais je n'avais encore pris de décision seul. Ma régente prenait les décisions pour moi. En dehors de Benedictus, je n'avais aucune connaissance. Et même si mon objectif était simple : rejoindre le Reike et retrouver Ayshara. Le chemin pour y arriver me donnait la boule au ventre. Je priais silencieusement que l'impératrice soit encore dans ce monde. C'était la seule être qui restait dans mon cœur.

Je m'enfonçai ainsi dans une dense forêt obscure, un lieu où les ténèbres semblaient prendre vie. Peu à peu, j'appris à comprendre le langage des animaux, puis je réalisai que je pouvais communiquer avec eux. Non verbalement, mais d'une manière plus profonde, une connexion innée qui me permettait de devenir un avec eux. La soif me guida d'abord le long d'une rivière, jusqu'à ce que je découvre un fort, ou du moins ce qui paraissait être un amas de pierres ressemblant à un village. Les parfums de la cuisine parvinrent à mon odorat, indiquant qu'il y avait encore de la vie dans cet endroit. Je pris donc la décision de m'affranchir de la peur et de m'approcher, de passer ses portes et de découvrir ce qui m'attendait à l'intérieur, dans ce lieu mystérieux au cœur des ténèbres.

Là, personne de me toisaient. Ni me reconnaissait. C'était un mieux et je mis le capuchon par-dessus la tête, évitant d'être dévisagé. Je m'approchais d'un vieil homme. Un homme morbidement mince. Je voulus d'abord l'aider et soigner ses blessures, mais avant, je devais en apprendre plus.

— Je vous prie de m'excuser, mais où sommes-nous exactement ?

Mais au lieu de me répondre, la personne prise peur et s'en alla. Peut-être était-ce mon regard. Celui d'un lumina vif et brillant qui lui apportait cette peur, mais pour quelle raison ? Un corbeau nous survola, puis se déploya avant de se métamorphoser en un être humain. Cet être était d'une grâce éloquente. De longs cheveux rouges mettaient en évidence un visage raffiné, d'une certaine beauté qui contrasté avec l'horreur de ces lieux.  Je baissais la tête pour saluer cette personne, évitant cette fois de la relever pour ne pas la faire fuir.

— Excusez-moi, mais m'accroderiez-vous audience afin d'en apprendre plus sur ce qu'il s'est passé dans ce monde ?

Je choisissais mes mots. Une éloquence que l'on m'avait enseignée. Enseigné pour être le Monarque. Le Haut Prêtre de Shoumei. Mais à présent je n'étais plus qu'un serviteur du Sekai.

Allons allons...du calme. Je vais y aller.

S'exclame Halewyn, particulièrement bien avachi sur sa chaise avant de se ever pour prendre son envol pour une reconnaissance aérienne des abords du Sanctuaire. Entre Rowena, Tagar, ses femmes et Narcisse, iel ne sait pluS trop à quel mortel se vouer. Pris entre Puantrus et la Peste Noire cependant, son village s'en sortait bien compte tenu des circonstances. Le fait d'avoir accès èa un plan d'eau et de pouvoir remonter du poison et des algues devait aider, tout comme le fait d'avoir une demi douzaines mages érudits recapés  de Sancta au poste clefs aussi. Guillaime faisait brûler le devant des portes du village pour stériliser le tout si iel avait bien compris, les Panthères s'entrainaient bien. Bien nourris, ils n'avaient plus rien des esclaves qu'iel avait amené.

Si ce n'était de cette putain affliction, tout irait bien. En ce moment par contre, le minerai non traité s'accumulait et ils avaient beau construire et construire, il y avait des limites. Les mortels affamés pillaient les champs avant le mûrissement des récoltes, ce qui promettait un avenir de disette pour les quelques cinquantes âmes du hameau. Et même i iel était très aisé, Halewyn n'était pas crésus, ni ne souhaitait  endosser le rôle du bienfaiteur omnipotent du village contrairement à Rêves.

Ca n'empêchait pas qu'iel pouvait donner un menu coup de main pendant sa visite pour confirmer quelques hypothèses soulevées à Melorn auprès de la belle sirène et de son cher et tendre.  Qu'était deux jours de plus après tout, èala vitesse qu'iel voyageait?

C'était donc sieur Corbeau qui s'occupait de faire un peu de reconnaissance et de localisation. Autant par commodité aérienne que pour éviter aux Panthères des contacts non nécessaire avec les potentiels contaminés. Après tout, rien qu'une boule de feu ou deux ne saurait régler efficacement et durablement. D'ailleurs, sous le regard rubis, deux personnes conversaient en bas... Une reculant avant de fuir à toute vitesse. Pliant ses ailes, le volatile fit un superbe piqué , se dissipant dans un nuage de ténèebres juste avant de toucher le sol, un pied botté de cuir souple foulant la terre meuble comme s'il s'agissai du plus pur marbre.

Le vent jouait dans la redingote, lui donnant des plis classieux, pendant que le mage noir replacait une mèche carmine derrière son oreille dans un geste trahissant la plus pure féminité. Suivant le fuyard des yeux, iel le laissa aller, se tournant plutôt vers celui qui restait planté là comme un beau gros rond de flanc. Le démon plissa les yeux devant cette haute silhouette encapuchonnée qui était pliée devant iel de la facon la plus respectueuse possible. Mais outre la grande taille et les larges épaules, ce fut le timbre de voix du lumina qui hérissa le démon des orteils aux bout des cheveux.  Cette voix, il la reconnaitrait entre milles. Ce ton grondant qui roule sur le coeur comme un troupeau de chevaux sauvage... Cette aura... Iel ne pouvait la lire alors, mais maintenant qu'il en est capable... Cet être dont il s'est affranchi, foule maintenant le sol jouxtant son village. SON village.

Halewyn envoya un message mental au chef du village, puis fit face avec la plus parfaite ingénuité et le plus adorable des sourire couplé au plus innocent des regards d'encre légèrement ourlé de khôl.

-Tiens donc. Ne serais ce pas Seagan lui même qui se pointe chez-moi? Amèneriez vous, cher haut-prêtre, quelques fanatiques dans votre poche pour me forcer encore aujourd'hui à la soumission? Une audience? D'accord. Vous ne m'en voudrez pas si nous la faisons en plein air j'espère, la température est délicieuse en cette saison...

D'une incantation, Halewyn invoque une table, deux chaises dont il en tire une pour son auguste visiteur, attendant qu'il y prenne place..

-Que me vaut la visite du Nouvel Ordre mon cher? J'ai entendu que les vautours festoyaient à Célestia. Du moins, lors de mon ultime visite, les ruelles commencaient à fleurer le sang frais.

— Nous nous connaissons ?  

Habituellement, j'avais une assez bonne mémorisation des visages. Mais l'apparition de cette allure angélique m'était totalement étrangère. Pourtant, elle ne pouvait passer facilement inaperçu. Une chevelure pourpre ondoyante, des traits délicats, et une capacité à se métamorphoser, tout en elle évoquait une aura mystérieuse et captivante. Et pourtant, je n'avais aucun souvenir de l'avoir rencontré auparavant. Comment pouvait-il me connaitre ? Que s'est-il passé pendant mon sommeil ?

Aussi loin que ma mémoire me portait, mon dernier souvenir de Shoumei m'emmenait à une journée particulièrement remplie à Bénédictus. J'avais pris le risque de quitter le sanctuaire en m'emmitouflant dans une cape et m'étais aventuré en ville. Là, je portais la parole des Divins et prodiguais des soins aux nécessiteux. Je me rappelais du sourire chaleureux d'un jeune garçon après lui avoir offert une maigre ration de pain et apaisé son mal d'estomac d'un geste de la main. Le soir était venu rapidement, comme souvent, je ne pus croiser le regard de Dame Gunnhildr, sans doute vaguant à ses occupations de Régente. Fatigué tout en étant satisfait du travail accompli, je m'étais retiré dans mes appartements, portant un sourire de gratitude aux lèvres.

Le lendemain, le réveil avait été brutal, comme un rêve interrompu. L'atmosphère s'était alourdie, le sanctuaire plongé dans une tension sourde. Réveillé dans une crypte, mes premiers pas dans les couloirs m'avaient laissé perplexe. Qu'avait-il bien pu se passer pendant mon sommeil ? Le royaume de Shoumei semblait avoir basculé dans une réalité bien plus sombre, et l'inconnue au visage angélique qui se tenait devant moi incarnait peut-être une des clés de ce mystère.

— Le Nouvel Ordre ? Célestia ? Que se passe-t-il à Shoumei ? Que fait l'Ordre de la Main, pourquoi je ne vois aucun soldat ?  


L'angoisse s'emparait de moi, mon souffle s'accélérant de plus en plus, comme si l'air lui-même refusait de pénétrer mes poumons. Étais-je mort ? Les Titans, les Gardiens, ces divinités que j'avais autrefois vénérées, où étaient-ils ? Un tourbillon d'incertitudes m'envahissait, et chaque question soulevait davantage de mystère que de réponse. Pourtant, malgré la présence rassurante de cet étrange individu qui avait dressé une table de fortune pour moi, je ne pouvais trouver la quiétude en moi. Je m'étais laissé tomber sur une chaise, mes épaules courbées sous le poids d'un fardeau invisible, un fardeau de questions sans réponse et d'inquiétudes grandissantes. Mes pensées s'embrouillaient, emprisonnées dans un labyrinthe de confusion. Où était passé le Shoumei que j'avais chéri, que j'avais juré de protéger ? Où étaient passés les visages familiers, les rires des enfants, les chants des croyants dans les jardins sacrés de Benedictus ? Tout cela semblait s'être évanoui, éclipsé par un monde nouveau et étrange qui m'entourait, un monde qui ne correspondait en rien à mes souvenirs. Les ombres de l'incertitude s'étendaient devant moi, et je me demandais si j'allais jamais retrouver la clarté qui avait autrefois guidé mon chemin.

— Nous nous connaissons ?  

Les sourcils d'Halewyn se haussèrent avec la plus magnifique amabilité tandis qu'iel prit place sur la chaise, détaillant son auguste visiteur avec la plus parfaite attention. Il avait l'air d'avoir dégusté certes, mais le plus amusant était quiel ne décelait aucune perfidie, seulement la plus pure confusion. Il ne se rappelle pas d'iel?

Halewyn eut la plus innocente et adorable moue boudeuse. La légère brise caressait nos deux protagonistes, nous pourrions croire presque à un rendez vous galant au milieu des champs. Les prunelles noires suivaient le haut-prêtre tandis que toute empathie ouverte, iel succube se délectait au plus profond de son âme tordue de son tourment intérieur. Iel ne marqua aucun mouvement pour invoquer le pain et le sel, ni du vin ou du thé... ŀaissant, les deu mains sagements posées en son giron, le silence s'éterniser...

— Le Nouvel Ordre ? Célestia ? Que se passe-t-il à Shoumei ? Que fait l'Ordre de la Main, pourquoi je ne vois aucun soldat ?  

Mmmm... Par les Abysses. Halewyn croisa ses jambes de facon désinvoltement classe. Que de questions... S'en est presque à croire que tu a vécu dans une dimension parallèles les derniers siècles.

Le démon pencha légèrement la tête de côté, en une expression vulnérable. Les grands yeux noirs brillants lui mangeait carrément le visage brûlant de curiosité. Cette angoisse était de l'Ambroisie pour iel. Les émotions brutes étaient les plus puissantes et c'était ce genre qui le rendait plus fort.

-J'aimerais bien savoir, avant de te répondre mon cher, ce que tu as tiré de ton séjour chez les Gardiens? Tous s'accordaient à dire que le Haut-prêtre s'était sacrifié. Je le savais pertinemment que tu avais parfaitement calculé ton coup et que tu reviendrais pour te poser en sauveur du monde une troisième fois. Alors, si j'extrapole bien et à te voir ici, en chair et en os, relativement bien portant, je vois que les Gardiens t'ont épargnés. A moins qu'ils ne t'aient envoyé ailleurs... Peut-être es tu maintenant un dieu toi aussi? Ou un démon en peau de haut-prêtre qui sait... Quelle promotion!!!! Bravo!!!

D'un geste élégant,comme si iel commandait des serviteurs invisibles, Halewyn invoqua une carafe d'eau avec une chope en terre cuite, dans un bruissement discret, iel servit Seagan comme si ils étaient dans le plus somptueux palais. La voix de soupir pris une intonation apaisante

-Prends et bois mon cher, tu me semble passablement paniqué et tu va hyperventiler. Si tu t'évanouis, cela me sera fort ennuyeux, je n'ai aucune envie de te faire le bouche à bouche...