Une forêt Kosmopolite

Sans un bruit, il se met à écouter.
Lentement, il décompose chaque source auditive lui parvenant à ses petites oreilles. La musique d’une rivière coulant non loin entre des rochers, prenant sa source dans une petite bute. Quelques animaux craintifs s'approchent discrètement auprès de l’eau pour s’en abreuver. Le chant des feuilles des arbres bruissent sous la caresse du vent. Les piaillements des oiseaux sur les branches des arbres. La rumeur du vent entre les arbres et les buissons, faisant s’envoler des feuilles mortes. Le terrible couinement d’un animal pris par plus gros que lui, dans l’indifférence générale. Et puis son souffle, long et régulier.

Cactus sourit. Il prend plaisir au calme de la forêt. A sentir le sol meuble sous ses pattes et l’air lui balayant le museau. Il s’y sent vivant. Il s’y sent à sa place. Il se sent raton-laveur. Et c’est seulement ainsi qu’il se laisse aller. Loin des ses obligations, des ses aspirations et de ses rêves. Oublié pour un temps la quête de sa vie. La quête d’une destinée. La quête de tout un peuple. Il n’y a que lui et l’immensité naturelle.

-Quoi faire ? Manger ?

Cactus fronce ses sourcils, expire une dernière fois avant de se relever et de se tourner derrière lui. Là, deux ratons-laveurs de sang pur l’observe, curieux. Les deux ratons-laveurs qui l’accompagne pour les prochains jours. Si la quête de Cactus pour élever le peuple des ratons-laveurs vers la place qui lui revient de droit parait longue et difficile, il lui faut contribuer personnellement à entrainer ses frères et soeurs ratons-laveurs à s’impliquer dans les missions et les tâches qui leur permetteront de s’affirmer comme un peuple à part entière à l’égal des hommes ou des elfes. Hélas, les habitudes ont la vie dur et l’appétit est souvent l’une des principales occupations de ses sous-fiffres de sans pur.

Les noms ne veulent pas dire grand chose dans la langue des ratons-laveurs. Pour une traduction humaine, nous les appellerons Caillou et Rivière, car c’est ce qui pourrait s’en rapprocher le plus. La passion de chacun, ce qui les définit donc. Même si, pour être véritablement conformes à cette règle, il faudrait tous les appeler “Nourriture”. ça complexifierait la chose.

Dans un souffle, Cactus répond.

-Non. Pas manger. On fait du repérage.
-Pour manger ?
-Pour installer un camp.

La quête de Cactus part de rien et il y a tant à faire. Tant d’activités qui seront fait dans le désordre car si Cactus a la foi qui anime son cœur, il n’a pas été formé pour la quête qu’il entreprend. Il fait donc des erreurs. Pour combler ces manquements, il tend à compter sur ses frères et sœurs qui, assurément, rejoindront sa quête. Pour l’heure, ils ne sont pas là et c’est à Cactus de faire le travail.

La forêt est un environnement naturellement propice pour les ratons-laveurs, et bien d’autres espèces évidemment. C’est donc logique pour l’hybride d’explorer les lieux à la recherche d’endroits propices pour la création de camp ou de reserves pour ces futures opérations. Il n’a besoin que de ratons-laveurs, mais d’équipement pour mener ces missions à leur terme. Et quand les ratons-laveurs afficheront leurs ambitions aux restes des peuples civilisés, il lui faudra des bases solides pour se défendre contre les oppresseurs qui ne manqueront pas de s’élever, effrayés par les menaces du peuple raton-laveur.

Ainsi, campé sur ces deux jambes, la moustache soyeuse au vent, Cactus observe les environs, revenus de sa brève rêverie. Il n’est qu’à une heure du bord de la forêt, environ. C’est suffisant pour ces besoins à venir. Ni trop éloigné, ni trop proche. Déjà, les plans fusent dans le camp des ratons-laveurs. Ce genre de camp va devenir une urgence. Et il y a bien une chose que Cactus sait, c’est qu’il ne faut pas agir dans l’urgence.

Tout ce rêve est lui-même le fruit d’une très longue réflexion.

-Manger ?
-Va chercher à manger si ça t’embête tant !

Cactus est un poil énervé. Caillou s’élance sans perdre son temps. Seul reste Rivière, un raton laveur d’une année qui semble un peu plus impliqué que son congénère.

-Maison ?
-Oui, on cherche une planque.
-Planque comme maison ?
-Oui, mais pas pour y vivre. Pour s’y cacher. ou entreposer des choses.
-Nourriture ?
-Par exemple.

Un craquement. Cactus tourne la tête et plisse les yeux, finissant par repérer la présence d’un loup. Un prédateur naturel des ratons-laveurs. Mais celui-ci hésite. C’est bien la première fois qu’il croise un membre de cette espèce si difforme, comme porteur de bien des secrets. Cactus serre le poing, craquant ces phalanges. En effet, il est plein de surprises et si le loup s’approche, il lui montrera.

Il n’y a pas d’animosité envers cette animal. Il cherche à se nourrir. C’est le cycle de la vie. La loi de la nature, intemporelle et universelle. Par contre, les humanoïdes, il a toutes les raisons de les haïr. Heureusement, il ne pense pas en croiser dans les parages.

N’est-ce pas ?

Une forêt kosmopolite

Feat. Cactus

Été de l'an 4,
À une heure de l'orée de la forêt

Kosmos déposa sa main droite sur la patte égratignée du louveteau. Craintif, il se laissa faire comprenant les intentions dénouées d’animosité de la guérisseuse. De ses doigts émanèrent une lueur bleutée et vaporeuse, tel de fines gouttelettes d’eau, afin de nettoyer l’entaille ensanglantée. La blessure se voulait superficielle, mais pas à l’abri d’une infection, surtout venant d'un si jeune louvard. Ainsi, la centaure prit l’initiative d’user de ses soins pour le guérir. Elle l’avait trouvée comme ceci, lui et ses trois autres frères, au milieu d’un bosquet caché dans des buissons de fougères. Sans doute s’était-il blessé en jouant. Leur génitrice, quant à elle, ne fut pas présente ; la dryade en conclut que la louve devait s'être éloignée en vue d’assurer la sûreté du territoire. Aussi, Kosmos resta un temps à surveiller la portée des potentiels prédateurs. En tant que gardienne de la forêt, ou tout du moins ancienne gardienne, il était de son devoir de veiller à la protection des plus démunies. Évidemment, cela n’impliquait pas d’interférer sur le bon cycle naturel, toutefois elle ne se privait pas d’apporter son aide à des nourrissons blessés. Ils avaient encore toute une vie devant eux et les laisser seuls, sans défense, à la merci de nuisibles affamés était tout simplement bien trop cruel pour cette dernière.

Cela faisait une bonne heure depuis le départ de leur mère. Fine connaisseuse du monde animal, Kosmos trouva cette absence pour le moins étrange. Laisser ses enfants sans protection aussi longtemps n’était pas dans la nature d’une louve qui venait de mettre bas. Rapidement, l’élémentaire s’imagina le pire : peut-être les avait-elle abandonnée ? À moins qu’elle eût fait une rencontre inopinée et fatale ? Non, il devait y avoir une raison plus raisonnable, et la guérisseuse se trouva fort déterminé à la découvrir. Aussitôt, Kosmos se redressa sur ses quatre sabots, agrippa sa férule, caressa un à un les louveteaux puis se retira.

– Vous quatre, restez bien sage. Ne quitter surtout pas ces fougères, entendu ? Je pars à la recherche de votre mère. Susurra-t-elle aux jeunes loups avant de s'en aller.

Sa recherche fut fructueuse puisque Kosmos tomba sans tarder sur des empreintes récentes qu’elle s’empressa de suivre tout du long. Néanmoins, après plusieurs mètres de piste, l’élémentaire fut témoins d’un étrange brassage. Les pas de loup se mélangèrent à de plus petites pattes. Celle d’un rongeur. Oui, un raton laveur. Et pas juste un, mais bien trois. Intriguée, la guérisseuse poursuivit sa route s’imaginant déjà trouver au bout un véritable carnage. La gardienne en était convaincue : si cette bande de viverrin avait rencontré la louve, il n'en resterait que de la chair fraîche.

De concert, ses oreilles touffues se redressèrent sur son crâne. Des bruits, des paroles même, vinrent l’interpeller. Kosmos se fit toute petite, se faufilant avec la légèreté d’une biche entre les arbres dans l’intention de percevoir à qui appartenait cette voix braillarde. Qu’elle ne fût pas sa surprise lorsque la centaure découvrit les ratons laveurs sain et sauf. Ou du moins pour le moment, puisque les compères faisaient face à ladite louve. L’élémentaire serra aussitôt son bâton, prête à jaillir, mais se ravisa en apercevant la carrure conséquente d’un des deux rongeurs. Ce n’était pas un simple animal, non, celui-ci était… un hybride ? Sa moustache le trahissait.

– Ne lui faites pas de mal, s’écria-t-elle à l’intention du duo. Elle ne cherche pas à se nourrir, mais à simplement défendre son territoire. Ces petits sont cachés un peu plus loin.

Sa voix se porta jusqu’aux deux intéressés. Fluette, toujours avec douceur, Kosmos prit tout de même un ton assuré. Bien que chétive, la gardienne se voulait confiante dans ce genre de situation. C’était son devoir après tout : maintenir l’ordre. Aussi, songea-t-elle que ce face-à-face pouvait se régler à l’amiable étant donné la nature hybridée d’un des parties. Une discussion était possible et Kosmos s’employa comme médiateur. La dryade s’éloigna de sa cachette et se dévoila entièrement. D’un pas léger, mais téméraire, elle se rendit à la louve.

– Laissez-moi faire, je vais lui parler.

À hauteur du carnivore, la biche porta quelques mots à son oreille, non sans trop de frayeur. Kosmos avait appris pleinement le langage des animaux au cours de ses longs siècles dans la forêt. Sa magie lui permettait de communiquer avec eux. Elle murmurait à chacun et la plupart lui faisaient confiance. Cette capacité lui fut utile à de maintes reprises. L'élémentaire mentionna entre autres comment avait-elle trouvés les louveteaux et les avait consciencieusement soignés. Puis précisa que deux ratons laveurs n’étaient pas une grande menace pour ses progénitures. La louve, galeuse et fragile, s’avoua ne pas être en position de combattre et, bien que réticente, concéda ces dires.

- Je doute qu’elle soit en capacité de chasser… du moment que vous vous éloignez de son territoire, tout ira pour le mieux. Kosmos se retourna vers les deux rongeurs, les regardant de haut en bas. Vous êtes à la recherche de quelque chose n'est ce pas ? Sa question, dépourvue d'hostilité mais tout de même bien curieuse, s’adressa directement à l’hybride. De toute évidence, celui-ci avait un but bien particulier.

CENDRES

L’interruption surprend Cactus qui s’en veut immédiatement. Il n’a pas senti l’individu venir et en d’autres circonstances, ce nouveau venu aurait préféré l’attaquer plutôt que la jouer de manière pacifiste. Un écart d’attention que le raton-laveur cherche à éliminer. La quête qu’il s’est donné de faire ne permettra aucun écart. Il reprend toutefois contenance, observant d’un œil prudent la nouvelle venue autant que le loup qui s’avère être une femelle. Derrière lui, Caillou et Rivière n’en mènent pas large, mais ils n’ont pas fui, ce qui est plutôt encourageant. Le révolutionnaire a bien senti une légère inclinaison à faire demi-tour, mais sans doute que la posture attentive et un tantinet maître de lui-même de Cactus les a silencieusement ordonné de ne pas bouger.

Silencieux, l’hybride hoche la tête en signe d’acquiescement, laissant toute liberté à l’inconnue pour accomplir sa demande. S’approchant de la louve, Cactus la détaille davantage à la recherche d’informations sur son identité. Elle ne ressemble à aucune créature connue. En tout cas, pas de sa connaissance et Cactus n’est pas un être qui à l'occasion de s’éduquer proprement. Ces connaissances, c’est ce qu’il a observé du monde, ce qu’il a trié des histoires des créatures intelligentes qu’il a affrontées. Et considérant son aversion envers les humains, il accorde rarement d’intérêt à ce qu’ils peuvent raconter. Une créature pareille, de sa propre expérience, s’il a pu en croiser une, il l’a certainement évitée. Mystérieux signifie que l’on connait pas ses capacités. Cactus ne présume pas de ses forces et à conscience de ces faiblesses. Se confronter au mystère n’est pas dans son intérêt. Il pourrait faire demi-tour, mais l’expression de l’inconnue qui semble dénué d’animosité l’intrigue.

Deux options lui viennent à l’esprit. Une créature antique propre à ces bois. Ou un hybride ayant embrassé sa condition sauvage. Sur ce dernier point, Cactus n’est pas si éloigné. Pour le premier, Cactus se revendiquant des ratons-laveurs, cette créature devrait bien la considérer.

Mais la prudence est toujours de mise. L’inconnue se met à parler à la louve. Cactus use alors de son pouvoir de communication animale que semble posséder son vis-à-vis. Silencieux, il écoute les efforts de l’inconnue pour apaiser la louve, renforçant la véracité de ses premières explications. L’hybride ne révèle pas qu’ils ont le même talent, pour l’instant, ce qui pourrait être utile tant que la confiance n’est pas instaurée. Un jour. Finalement, la louve semble abandonnée toute velléité de les attaquer. Caillou et Rivière se détendent derrière Cactus, sentant la tension redescendre. Seul l’hybride semble encore dans l’expectative et les questions de l’inconnue ne le surprennent pas, mais il n’est pas raton à trop en dire.

-Oui.

Puis un silence qui pourrait durer, Cactus observant ses traits de visage, plissant les yeux dans une attitude attentive. Lui révéler ses intentions pourrait changer son attitude. Il est dans son intérêt que la situation reste ainsi.

-Je n’ai pas pour habitude de révéler mes intentions à une inconnue. Qu’est ce que… vous êtes ? C’est la première fois que je vois quelqu’un… comme vous. Êtes vous une créature mythologique ?

Cactus congédie Caillou et Rivière qu’ils aillent voir ailleurs comme si la situation était plus calme. Si ça dégénère, ils seront plus loin et Cactus pourra user de toute l'étendue de sa force. Davantage seul à seul avec l’inconnue, Cactus fronce un sourcil, conscient soudainement d’une chose.

-Serions-nous aussi sur votre territoire, peut-être ?

Dim 24 Sep 2023 - 22:02

Une forêt kosmopolite

Feat. Cactus

Été de l'an 4,
À une heure de l'orée de la forêt

Un sourire à peine perceptible vint décrocher les lèvres de Kosmos. Elle ne put dire s’il s’agissait de la réponse renfrognée et pleine de prudence du raton-laveur, ou bien la question sur ses origines qui avait éveillé son amusement. L’élémentaire était toujours aussi surprise de voir avec quelle velléité les individus qui croisaient sa route voulaient connaître ses origines. Comme si le besoin de mettre un nom sur chaque créature rencontrée permettait d'en savoir davantage sur leurs intentions. Bien sûr, chacun va de bon train à ses théories : hybride ? Peut-être, il fallait dire qu’avec des attributs de cervidé cela faisait sens. Pourtant en observant Kosmos de plus près, on découvre une étrange végétation qui perce sa chaire. Beaucoup s’imagine alors un être maudit, d’autre parle carrément de démon, de vassal envoyé par les titans ou bien d’une femme tout simplement unique en ce bas monde. Unique ? Sans doute l’était-elle du point de vue de son espèce. Tous n’étaient pas dotés d’attributs animaux causés par la proximité entre la faune et la flore.

Pourtant, cette unicité est le propre des élémentaires. Beaucoup naissent sous une multitude de forme et de caractéristiques propre à chacun. Au sein même de l’espèce, trouver deux élémentaires semblables n’était pas chose aisée. Les sangs purs se voulaient aquatiques, d’autre terrestres. Il y avait les enfants du feu et ceux qui avaient le vent comme parents. L’électricité aussi, et la glace. Puis lorsque deux éléments s’accouplent, exsude alors un troisième : l’eau et le feu donnent la vapeur, le feu et la terre donne la lave et, dans le cas de Kosmos, la terre et l’eau donnent la nature. Bien sûr, elle n’a jamais connu ses géniteurs et pendant le plus clair de son vivant considéra la forêt comme sa propre mère. Néanmoins, Kosmos a toujours su au fond d’elle ce qu’elle était et n’a jamais tourné le dos aux questions concernant son existence.

– Si seulement… Elle s’en amusa. Je suis une élémentaire. Elle marque une légère pause, se perdit dans son imagination un instant et reprit. Une élémentaire de la nature. Vous n’êtes pas le premier à me poser la question. Et sans doute pas le dernier songea-t-elle.

Kosmos posa son regard intrigué sur les deux autres raton-laveur derrière l’hybride. Ce dernier venait de les congédier, laissant conclure à l'élémentaire le rôle de chef du trio que détenait le moustachu. Elle se redressa, laissant à son tour à la louve la chance de partir retrouver ses enfants. À présent face à face avec son interlocuteur, la dryade égaya son visage d'une malice intrigué sans jamais perdre son regard innocent.

– Je vis plus loin. Dans les profondeurs. C'est là qu'est mon antre, bien que je ne considère aucune parcelle de ces terres comme « mon territoire ». La forêt appartient au monde sauvage, à tout un chacun. Du moins, j’aime à l’espérer.

Sa voix chantante se hissa entre les branches des pins, comme si elle s'adressait à toute la nature. Elle déposa son bâton de berger espérant avec ce geste induire tout le manque d’animosité de sa part.

– Je suis Kosmos, la gardienne des bois. Enfin… Je l’étais. Sa voix plus fébrile à présent manqua de se couper à l’évocation de son ancien titre. À présent, je vague simplement à mes occupations personnelles. Je soigne aussi ceux qui me trouvent.

Elle marqua une nouvelle pause, inspectant de haut en bas l’hybride. Ses pupilles ne purent se dégager de la moustache du raton-laveur. Un ornement pour les moins distingué qui ne manqua pas de la faire sourire à nouveau.

– Si vous n’êtes pas enclin à me partager vos intentions, peut-être le seriez-vous plus à me donner votre prénom ? La plupart des hybrides font le choix de vivre en ville, près de la civilisation et des bipèdes il me semble... Vous, vous êtes une exception. Je me trompe ?

CENDRES

Sam 7 Oct 2023 - 22:04

Cactus hausse les sourcils en apprenant l’identité de la créature. Il pensait tirer dans l’eau par sa question, voilà qu’il se met à tomber juste selon ses critères. Parce que les élémentaires sont bien quelque chose que l’on apprend pas dans toutes les écoles que le raton-laveur n’a de toute façon pas fréquenté. Son ignorance est quasiment totale sur le sujet, mais la forme même du mot en dit long. Né de l’élément. Quand on se revendique de part son ascendance animale et non humaine, on se sent naturellement plus poussé vers la nature. Cactus n’aurait pas forcément crû qu’il puisse avoir un élément en rapport avec la nature, mais qui est-il pour connaître le monde ? S’il n’est pas raton à baisser sa garde si facilement, il sent que l’absence d’animosité chez l'élémentaire ne peut être une feinte pour un quelconque piège, sous la lumière de ses origines extraordinaires. Il se détend un peu, baissant sa garde avant de venir s’asseoir sur un gros caillou.

Les propos de Kosmos ainsi nommé sur ses origines le plongent un instant dans un vague souvenir de son passé. Un accès brutal de rage qui vient déformer son visage dans une grimace affreuse. Le souvenir auréolé de lumière de son frère aîné qui les a tous sauvés du calvaire de leur jeunesse. Si l’élémentaire paraît toujours aussi douce et bienveillante, le raton-laveur est parcouru d’un tremblement de rage alors qu’une créature éloignée du monde humain lui rappelle ses origines sans le lui avoir révélé. Car son corps est légitimement la preuve de l’horreur qu’il est. Car il porte à même la peau la marque d’un crime contre-nature. Son temps se fait abrupt. Sa voix crache une réponse.

-Je ne suis pas hybride, je suis un raton-laveur ! Et ce n’est pas l’engeance de pourriture d’humain qui a engrossé ma mère qui va dicter ce que je suis !

Cactus inspire lentement, regardant la canopée des arbres, yeux mi-clos sans une recherche de sérénité. Kosmos aurait été humain, il se s’en serait pris une. Comme si tabasser un humain pouvait faire oublier ne serait-ce qu’un instant l’horreur de ses origines et faire payer à toute une espèce ses cas les plus dégénérés. Même si dans le cas d’un humain, celui-ci aurait posé sa question, un sourire aux lèvres, le même sourire ignoble qui juge sans savoir, s’imaginant les détails plus sordides. Lentement, Cactus expire comme si le courant d’air transportait chaque pensée haineuse, quittant son corps jusqu’à ce qu’il devienne un temple de calme. Ce n’est pas sa faute. Ce n’est la faute de personne.

-Cactus. C’est ainsi que l’on m’appelle.

Lentement, il tourne la tête, fixant l’élémentaire d’un regard qui se veut insistant pour marquer une pensée. Un concept. Quelque chose qui ne saurait être remis en question.

-On n’est pas ce que l’on naît. On est ce que l’on veut être. Et je suis un raton-laveur.

Il crache au sol.

-Et les hybrides qui écoutent leur humanité ont hérité de la perversité de leur parentalité.

Son regard prend la tangente, glissant dans les hautes herbes, les buissons et dans la végétation qui les entourent tous les deux. Il y a les animaux en observation, dissimulés astucieusement, mais bien présents, comme si la présence pacifique de l'élémentaire était une preuve de l’absence de tout danger.

-J’aimerais appartenir au monde sauvage. Est-ce que j’en ai le droit ?

La question revient à Kosmos. Elle se veut presque implorante l’espace d’un instant avant que le devoir ne rattrape le cœur de Cactus. Evidemment que les ratons-laveurs appartiennent à la nature et ils sont ces frères. Mais dans ce monde, l’humanité a pris trop de place. L’idée est plaisante de prendre une retraite au milieu de la forêt et d’adopter une vie tranquille loin des tracas de la ville et de la civilisation humaine, mais si Cactus a jailli du trou d’horreur de ses origines, c’est sûrement pour une bonne raison. Et cette bonne raison ne peut l’amener sur le chemin d’une retraite paisible. Elle passe par la voie de la violence. Tout est toujours une question de violence.