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  • Lun 24 Juil - 17:52

    Baignée dans la lueur tranquille d'une lune qui semblait observer le Monde avec la bienveillance d'une mère berçant son enfant, la Forêt Républicaine sommeillait, paisible.

    Un vent frais et délicat susurrait sa timide chanson aux oreilles des quelques âmes éveillées qui en arpentaient les sinueux sentiers. Loin des tourments de la guerre et de la folie des hommes, un bosquet perdu situé aux confins de ce paradis sauvage semblait n'avoir rien à envier au Paradis que fantasmaient les Hommes. Tout y était normal, tout y était en ordre. Tous s'y sentaient à leur place et plus important encore, tous s'y sentaient bien. On entendit, dans un étang minuscule sur lesquels dansaient des reflets d'argent, le son irrégulier et infime des mouvements d'un écureuil nageant pour trouver de quoi nourrir ses petits. Un oiseau vêtu d'un manteau arc-en-ciel le jaugeait de loin, peinant toutefois à garder les yeux ouverts car l'appel du sommeil se faisait pour lui fort insistant.

    Un cerf aux bois de diamant s'invita à la fête, attiré tant par les chuintements des cigales que par le croassement d'une perruche nichée sous une souche, elle-même recouverte d'un voile de champignons violets qui marmonnaient furtivement, sans doute pour critiquer le manque d'élégance d'une gigue silencieuse qu'organisaient les souris à quelques mètres de là. Le cervidé aussi pale que l'astre lunaire lui-même leva la tête quand l'interpela enfin un poisson affublé d'un curieux couvre-chef qu'il voulait lui montrer. L'herbivore confirma que le chapelier de son vis-à-vis avait fait preuve d'un sacré talent puis retourna s'abreuver de cette eau parfumée dont lui parvenaient des senteurs méconnues. Comme érigée en statue par ce petit peuple mystérieux dont personne en République ne savait rien, une silhouette immense se tenait sur une pierre et paraissait assoupie.

    On distinguait au prix d'un coup d'œil appuyé que quelque chose clochait, chez cette sculpture colossale qui n'en était pas vraiment une. Entre cette étrange silhouette recroquevillée en position fœtale et son socle de roche se situait un vide, un écart ridicule de quelques centimètres mais qui constituait le premier point de bizarrerie d'une liste bien trop longue pour ne pas susciter l'inquiétude. Autour de la structure mystérieuse lévitaient des arabesques flottantes qui se contractaient et se dilataient sur elles-mêmes, chose que l'œil humain n'aurait su décrypter mais qui venait aussitôt trahir la nature magique de l'entité immobile. En habituant ses yeux aux ténèbres, on pouvait enfin discerner avec davantage de précision l'apparence de l'énorme créature.

    Paraissant majoritairement métallique, la silhouette allongée de cet énorme volatile n'était en fin de compte pas tout à fait inerte, d'une part parce qu'elle semblait graviter tout doucement autour d'un point fixe mais également car les plumes d'acier sombre qui parsemaient son corps énorme s'agitait doucement au gré de son souffle lourd et pesant. A chacune de ses expirations, un son éthéré de source indubitablement inhumaine se faisant entendre et lorsqu'il résonnait dans le bosquet mystérieux, la réalité elle-même se distordait à chaque fois un peu plus dans cet endroit sur lequel ni le temps ni la logique n'avaient d'emprise. Au rythme de ces pulsations curieuses, le Rêve dévorait le Réel.

    Dans la belle forêt endormie, tout était normal, tout était en ordre.
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  • Mer 26 Juil - 1:07
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    A mesure que l’astre du jour se retirait, alignant ses derniers rayons sur le village déjà loin à l’horizon. La Bête avait choisi un chemin plus solitaire pour son voyage, plus sûr, du moins pour les autres. Il y avait du progrès, un peu. Mais le fond du problème n’était pas réglé, mais mieux valait se tenir éloigné des habitations, et dans l’idéal, de toute présence humaine. Du moins, pour le moment, il suffisait de rester éveillée. Alors, quelque part dans un recoin de la forêt, la Bête regardait silencieusement les ombres s’extirper des buissons. Ramper, grouiller hors de leur tanière pour dévorer avidement jusqu’à la moindre parcelle de clarté. Transformer les creux en puits sans fonds, et les silhouettes familières en entités fantasmagoriques. Alors que la nuit semblait aussi jaillir de toutes parts telle une marée obscure engloutissant le monde dans son voile crépusculaire. Tu restais silencieuse, observatrice de la lente métamorphose de ses bois qu’à présent tu connaissais bien. A présent même l’air était différent, ni meilleur, ni moins bon. Seulement différent, plus frais, mais paradoxalement plus pesant.


    Tu avais lentement regardé devant toi les flammes danser sans un dernier sursaut de s’éteindre. Ne laissant de leur passage sur cette que quelques braises rougeoyantes qui se reflétaient dans tes yeux jaunes. Une ambiance, autre s’était installée. Ni réellement déplaisante, ni vraiment rassurante. Le monde de l’obscurité n’était pas effrayant en lui-même, du moins pas sans ce qui s’y dissimule… Mais tu appartenais en partie à ce monde là. Et tes yeux lupins te permettaient sans peine de percer ses secrets. Pour voir dans le cas présent, qu’il ne dissimulait pas grand chose. Le bruissement régulier des sauts d’une grenouille, la silhouette de quelques feuilles bercées par le vent. Tout était calme, tranquille, comme apaisé. Un peu trop en fait. Car aussi à son aise que tu fût, en ce monde ci, celui de la nuit.

    Tu te refusais toujours à t’y abandonner. Tu veillait, gardienne silencieuse sur tes derniers instants de lucidité, persuadée que ton regard alerte suffirait pour l’instant à tenir les ténèbres en respect. Et que temps que tu ne flancherai pas, rien ne franchirait le seuil de ton esprit. Car voilà, les ténèbres que tu redoutais le plus, n’étaient pas de celles qui se cachent en attendant leur heure, furetant dans les fourrées de quelques bois mal famés. Mais bien de celles qui se contentent d’être là a chaque instant, immobiles et inoffensives dans les coulisses. attendant patiemment que le rideau de façade ne s’abaisse, pour entrer sur scène, quand tu n’est plus attentive, quand tu n’est plus vraiment toi.. du moins, pas celle que tu voudrais être. Mais l’œil alerte et un esprit vif savent tenir ces ombres là en respect. N’est ce pas ? Pourtant après plusieurs jours de veilles et de voyage, ton attention n’était plus si infaillible. Et fixant les dernières braises mourir, tu te sentais partir. La décharge d’adrénaline qui parcouru tes veines à l’instant fatidique fût suffisante à te faire bondir sur tes pieds en une fraction de seconde. Ce n’était pas passé loin, le fourbe sommeil avait presque réussi à t’avoir.

    Mais pas cette fois, pas encore. Alors finalement debout tu  t’étiras, fit quelques pas pour détendre tes muscles endoloris. Ton regard inhumain se posa une dernière fois sur les restes de bois brûlés. La nuit était fraîche mais le climat était plus que supportable, et elle n’avait pas besoin de lumière pour se repérer. Les pâles rayons de la lune, et ses yeux de créature nocturne te conférait assez d’aisance pour te déplacer sans peine. Décidée, tu t'élançais en direction de l’étang. Convaincue que quelques déambulations nocturnes suffiraient à te tenir éveillée pour le reste de la nuit. Mais aussi nocturne que soit ta vision, aussi affûtés que soit tes sens, tous semblaient alourdis, déformés par un manque cruel de repos. Les symptômes, proches de l’ivresse ,t’étaient familiers. Tu continuas donc machinalement ta route. Après tout, pourquoi se méfier quand tu incarnais potentiellement l’une des pire chose que quelqu’un puisse croiser. Pourtant, malgré ton manque de lucidité, ton inconscient semblait capter un certain nombre de détails inquiétants. Et à mesure que tu progressais entre les arbres, un certain inconfort commençait à te gagner, ton rythme cardiaque était irrégulier, ton souffle plus lourd. Et cette désagréable sensation d’être observée. Tu n’y prêta guère attention, et mit immédiatement tout ça sur le compte de la fatigue. Même cette immense silhouette que tu croyait discerner sur ce rocher. Probablement une hallucination, ce n’était pas la première, et certainement pas la dernière. Tu fis alors un pas de plus dans sa direction, comme te convaincre que ce n’était rien de plus que des divagations.

    Inconsciente que tu franchissais les frontières d’un royaume dont tu t’étais trop longtemps tenue éloignée.
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  • Mer 26 Juil - 3:58
    Comme lorsqu'une araignée ressentait les vibrations émises par une proie qu'avait piégé sa toile, la sculpture totémique qui gravitait en silence s'agita lorsqu'une nouvelle venue fit son entrée en scène. Les plumes d'acier, comme animées chacune d'une indescriptible volonté, se mirent à pointer les unes après les autres en direction de l'intrus comme si elles avaient toutes, les unes après les autres, été magnétisées par la fracture opérée entre le réel est le songe. Les yeux de la bête s'ouvrirent et baignèrent les environs d'une lueur violacée tandis que le cou serpentin de la créature se tordait en arrière dans un curieux son évoquant celui de lames rouillées frottant la surface d'une roche. La silhouette flottante de l'entité à l'allure de dragon pivota latéralement et l'une de ses pattes vint doucement caresser la stèle faisant pour elle office de support.

    A l'instant même où les griffes touchèrent la pierre, une nouvelle pulsation d'énergie obscure troubla la perception des êtres qui l'entouraient. Certains arbres et autant d'animaux se dématérialisèrent soudainement pour réapparaitre une seconde plus tard, plus tordus et bizarres qu'ils ne l'étaient déjà précédemment. La bête informe pivota à nouveau dans un angle impossible et orienta son crâne énorme de côté, permettant ainsi à son œil de se poser sur l'être ayant eu le mérite d'attirer sa curiosité. Dans l'iris de la bête mythique, on percevait des galaxies fantasmées ainsi que des couleurs à peine définissables. Le monstre ailé aux allures d'ange corrompu scruta avec insistance l'étrangère et fut amusé de découvrir qu'il s'était fourvoyé. Au lieu du loup qu'il s'était apprêté à accueillir dans son bosquet des rêves, il vit une femme portant un fardeau bien trop lourd pour elle.

    La statue mouvante glissa tel un immense alligator jusqu'au sol humide de cette forêt dont il avait établi les nouvelles règles. Lorsqu'il les frôla, les deux souris dansantes disparurent comme des mirages mais se remanifestèrent quelques mètres plus loin. La perruche verdâtre, quand elle fut dépassée par le géant qui rampait tout en douceur, retrouva quant à elle son allure de crapaud. Comme ses créations illusoires aux morphologies changeantes, le façonneur de rêves sembla muer pour adopter lentement une enveloppe plus avenante. Le métal suppliant et les tentacules agitées cédèrent leur place à des plumes douces comme le velours tandis que la gueule de cauchemar de l'engeance démoniaque se referma sur elle-même pour devenir, en un souffle, un masque blanc de chouette fort intrigant mais néanmoins somptueux. Le manteau bruni devint noir et étincelant, rendant la chimère illusoire aussi belle que mystérieuse.

    L'inconnue curieuse qui le jaugeait en silence fut déchiffrée sans retenue par cet immense volatile qui était, à n'en pas douter, issu d'un autre plan que celui qu'il foulait actuellement et dont il perturbait l'intégrité par sa simple existence. Il posa ses premières questions avec les yeux seulement, laissant son regard glisser sur l'œuvre que constituait celle qui s'offrait ainsi à lui en tombant dans sa toile. Le prince des songes, évidemment, savait reconnaître mieux que quiconque quelqu'un qui n'avait dépassé que trop rarement les portes de son royaume. Plus qu'intéressé, il fut donc à la fois fasciné et même frustré de la découvrir dans un tel état. Le bec s'entrouvrit et après un bref sifflement, deux voix distinctes murmurèrent ensemble :

    "Aux abords d'un réel dont elle veut tant s'extraire, voici venir celle qui peine à retrouver le chemin menant à ses propres rêves. De quel mal souffres-tu, mon amie ?"

    Par émotion et par souci, il en avait même omis les présentations malgré l'étrangeté indéniable du cadre de leur rencontre.
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  • Mer 26 Juil - 23:55
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    Un pas, puis l’autre, en direction de la silhouette perchée sur son rocher, ou plutôt, en lévitation au-dessus. Elle semblait se déformer, s'arquer et s’enrouler sur elle-même, comme distordue par des mains invisibles. Tu ne la quittais pas des yeux. Toujours, visible, étonnamment consistante, presque tangible, pour un mirage. Pourtant, tes pieds continuaient à se poser, l’un après l’autre. En dépit d’un certain inconfort, ta démarche était régulière, assurée, quoiqu’un peu raide. Similaire à celle de quelqu’un qui s’apprête à enfoncer une porte close, qu’il sait non verrouillée, prêt à l’enfoncer d’un coup d’épaule, sans savoir si l’impacte la brisera ou non.
    Plus tu fixais ton attention sur l’ombre mouvante, pour en déterminer les formes et les contours, moins ton esprit parvenait à y trouver un sens. Incapable de savoir si ta lucidité était trop altérée pour parvenir à créer une forme concrète, ou si l’ombre, était réellement en train de se mouvoir. Ses contours frissonnants d’abords comme s’il s’agissait d’un amas d’entités toutes animées de leur propre volonté. Puis, ce fût au décor tout entier de trembler. En un battement de cils, il te part que tout s’était déplacé, pour revenir plus au moins à la même place, ou presque. Un autre effet secondaire de la privation de sommeil dont tu étais familière. Aussi lupins qu’étaient tes sens, ils n’échappaient pas à l’ivresse de la fatigue. La vision trouble était l’un des premiers signes. Là encore, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Peut importe ton état, le temps que tu étais éveillée, tout irais bien. Tes sens pouvaient bien t’envoyer autant de signaux discordants qu’ils voulaient, tu ne dévierait pas de ton chemin. Hors de question de céder à quelque panique infondée que ce soit. Et peu importe les battements frénétiques de cœur, qui semblait résonner de loin, en écho enterré six pieds sous terre. Ton œil quitta cependant un instant l’étrange silhouette pour s’attarder sur le chemin en question. Plus tordu, plus bizarre, plus instable surtout. Toutes ces anomalies, tes sens les percevaient bel et bien, envoyaient des signaux électriques à son cerveau, qui mettait à son tour tout ton corps en alerte. Ton souffle se faisait plus profond, des frissons descendaient le long de ton échine, jusqu’à tes jambes aux muscles tendus prêts à agir. Et pourtant, tu n’en fis rien, pas même lorsque tes deux iris jaunes se braquèrent à nouveau sur le perchoir de la silhouette hallucinée, que tu put à peine voir se glisser au sol.

    Comme anesthésiée, tes sensations te paraissaient lointaines, trompeuses et irréelles. Et tu ne pensais qu’a au combien il serait ridicule, de paniquer seule dans le noir faces à quelques silhouettes d’arbres déformées par un esprit défaillant. C’est fou ce qu’un cerveau en manque de repos pouvait imaginer pour se maintenir éveillé. C’est en tous cas ce qui te traversa l’esprit lorsque reculant d’un pas, la grande silhouette d’une chouette effraie au manteau d’étoile prit corps sous tes yeux. L’apparition était aussi magnifique qu’invraisemblable. Un grand visage rond aussi blanc que la lune, au milieu du quel trônait deux puits noirs sans fonds, aux reflets mouvants indescriptibles. Le reste de la silhouette, drapée dans un manteau tout aussi obscure, comme habillée de la nuit elle-même.

    Cette vision stoppa tout mouvement de ta part. Cette apparition, aussi fantastique qu’elle soit, avait soudainement quelque chose de plus réel. De plus tangible, de dangereux, peut-être. Et si tu t’étais ainsi persuadée qu’il s’agissait d’une illusion, tu n’en étais plus si certaine. Mais quoi d’autre ? Ta tête se secoua machinalement, s’inclinant finalement sur le côté, déformant encore un peu plus le décor dans ta vison à présent réduite à deux points noyés dans brouillards. Le pire, tu l’avais déjà affronté là-bas, a Sancta. Et les goules qui s’y trouvaient n’attaquaient pas à grand coup de souris d’opéra. Dont la présence , finit de te convaincre. Soit ton cerveau en privation de repos avait finalement fini par griller, soit, tu avais faillit.

    - et merde.

    La chouette hallucinée paraissait tout aussi interrogative, et ses questions prirent la forme d’un étrange sifflement à deux tons. Déclenchant chez toi un nouveau frissons d’inconfort. Là encore, un symptôme familier. Toisant la créature, les mots franchirent naturellement tes lèvres sans retenue, à l’abri des regards et peut-être même, du réel.

    - Eh bien si j’en crois ce que je vois, je dirais que je souffre de sévères hallucinations résultant d’une trop longue privation de sommeil. Toujours aussi factuelle, tu marquas une courte pause, haussant un sourcil en direction de la créature. Un sourire absurde vint pourtant marquer tes traits fatigués. Tsss faire de l’esprit avec ses propres illusions, tu étais tombée bien bas.- Ah moins bien sûr que je ne me sois endormie, qu’en dis tu, mon ami ?


    Sans quitter l’illusion nocturne de ton regard inhumain, tu commençais à lui tourner autour, lentement sans la moindre animosité, mais tu devais être sûre. Tandis que d’une main ton poing se serrait, tes griffes pénétraient la chaire de ta main, laissant s’écouler un mince filet carmin sur l’herbe changeante.

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  • Jeu 27 Juil - 20:35
    La chimère s'amusa de la réaction de son vis-à-vis et un éclat de rire cristallin issu exclusivement de sa portion féminine s'échappa du bec entrouvert. Les plumes qui ornaient son cou allongé se mirent à vibrer, créant tout autour d'elles une vague d'énergie obscure qui changea l'atmosphère lumineuse de cette orbe illusoire dans laquelle s'était jetée la louve. Ce n'était pas la première fois, depuis qu'il s'était mis à arpenter les terres des Hommes, que Rêve se retrouvait confronté à un être injustement privé des plaisirs de son royaume. Rêve, fort heureusement, était un prince empli d'une certaine bonté et décida donc que la jeune étrangère devait pouvoir profiter des délices issus du Songe.

    "Malheureusement pour toi, ce n'est pas dans mon domaine que s'effectue cette rencontre. Je t'ai connue autrefois, car tu as rêvé un jour, mais c'est avec un chagrin immense que je t'ai oubliée."

    La bête se dressa sur ses pattes arrière, s'étirant sur elle-même pour enfin déployer ses ailes merveilleuses sur lesquelles se dessinèrent des toiles que l'on ne peut illustrer qu'en rêvant soi-même. Une onde violacée se répandit dans le bosquet, agitant l'eau tranquille pour y faire pousser une myriade de fleurs aux couleurs changeantes et aux formes illisibles. Le dôme illusoire s'agrandit et les arbres factices se trouvèrent de nouveau voisins tout aussi biscornus qu'eux. La forêt, tout autour d'eux, devint si dense qu'on en oublia par quel chemin la louve était venue jusqu'ici. Il n'y avait plus qu'eux et lorsque tous les animaux nocturnes se turent de concert, Rêve reprit enfin :

    "C'est au prince du Songe que tu fais face aujourd'hui. Laisse-moi t'offrir un présent pour te prouver mon amour."


    Durant son discours, ses ailes vibrèrent à nouveau et les plumes situées à leurs extrémités commencèrent, à la manière des branches qui les encerclaient, à s'étendre et à se tordre pour atteindre des formes et des dimensions impensables. Rêve tendit doucement les mains, se mit à chanter et posa ses dextres glacées sur les joues de la demoiselle bestiale. Tout vint se perdre, dans la confusion de ce que lisait la bête onirique. Le visage de la chouette se rapprocha de celui qu'il tenait à pleines griffes et un épais nuage pourpre s'en échappa pour emplir les narines de la louve épuisée. Les plumes changées en tentacules s'agitèrent puis se plantèrent dans le sol, reprenant leur texture métallique tout en s'agrémentant d'une fine couche de rouille. Dactyle entendit des cris, des pleurs, des bruits de portes que l'on verrouillait pour ne jamais plus les ouvrir. Des odeurs de victuaille pourrie et de poisson éventré abandonné en plein jour firent leur apparition, engloutissant ses sens et troublant la frontière entre rêve et illusion. Un chant monstrueux s'éleva dans le vide, à la fois si lointain et bien trop proche de ses oreilles rendues trop sensibles par la fatigue poignante. Les ailes de Rêve engloutirent toute lueur et firent même taire celle de la lune tandis que se répandait, comme un poison insidieux, la brume soporifique du Démon nommé Cauchemar.

    Dans cette langue serpentine qui n'existait qu'en songe, Rêve psalmodiait et incantait ses sombres prières. Dactyle, quant à elle, n'était plus qu'un cobaye de ses machinations. Elle était au Razkaal, là où les espoirs mouraient et où le temps lui-même était retenu prisonnier. Rien n'était visible, rien n'était concret mais les sensations parlaient d'elles-mêmes, expliquant ce que les yeux ne pouvaient pleinement voir. Tout ici n'était qu'affaire de sensation, d'impression, mais certainement pas de raison. De ce domaine onirique qu'elle avait fui sans le vouloir, Dactyle ne voyait pour l'heure que la pire des facettes. Un cauchemar éveillé, sculpté à partir de ses souvenirs déformés par une bête se prétendant divine. D'autres voix apparurent, s'exprimant en canon pour rappeler à la jeune louve qu'elle n'était pas seule face à son cauchemar.

    "Je te rendrai tes rêves, si tu fais face à l'horreur. Sois forte pour nous. Redeviens libre de sommeiller et retrouve la paix."

    Dans cette obscurité intégrale dans laquelle se mouvaient des ombres sources d'une terreur insondable, la présence du Voyageur était partout. Pourtant, face à Dactyle, il n'y avait que des souvenirs sordides et des fantômes trop longtemps réduits au silence.
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  • Ven 28 Juil - 1:30
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    D’abord, des picotements désagréables, puis une sensation de brûlure, alors qu’une gêne lancinante, pulsant faiblement au rythme irrégulier des battements de ton cœur, commençait doucement à irradier ton bras gauche. La douleur était tangible et réelle. Perceptible, même tes sens étaient accaparés autre part. Non tu ne rêvais pas. Ou plutôt, tu rêvais sans t’être endormie. Tu t’étais tenue éloignés du royaume des Songes si longtemps, qu’ils étaient venus à toi. Et ils semblaient s’amuser de la situation.

    - Je crois que je m’en souviendrai, si je t’avais déjà croisé.
    Alors que la douce luminosité des reflets chatoyants de la lune sur l’étang s’étaient soudainement évanouis, comme aspirés par le voile de nuit de la créature, tes paroles se faisaient moins assurées. Moins innocentes. Tu croyais à présent de moins en moins à la théorie de l’hallucination persistante. Alors, qui es tu ?

    l’interrogeas-tu, juste avant de te retrouver estomaqué, face à l’abîme sans fonds de la fresque peintes sur les ailes de nuit déployées. Qui à présent te surplombaient de toute leur envergure, dissimulant à ta vue une partie du décor. Mais cette fois, aucun détail n’échappa à ta vigilance. La réalité tremblait, changeait, vibrait au rythme des respirations de la créature. Le prince des Songes. Là enfin tu compris, des illusions. Tu étais pourtant familière de la chose, pratiquante même. Quoiqu’un peu rouillée, assez visiblement pour ne pas l’avoir remarqué plutôt. Ou avait tu sciemment choisi d’ignorer l’évidence ? Et quelle évidence ! admettre l’existence de dragon-chouette chimériques aux paroles aussi énigmatiques que son allure.
    Cette prise de conscience avait réussi à éveiller ton instinct, et tu venais à peine de comprendre ce qu’il te hurlait depuis le début. Il fallait fuir. Mais tes muscles refusèrent d’obéir raidit, tant par la fatigue que par la peur qui te tenait dans sa toile depuis un moment déjà, sourde à ses avertissements. A présent, attaquer ou se cacher, ce qu’aurait fait n’importe quel animal effrayé. Mais dans ton cas peur, incompréhension et fascination se mêlaient dans une cacophonie de signaux divergents et contradictoires.

    Tu te sentais si insignifiante, si vulnérable face à cet être mystique et invraisemblable, et paralysée tout comme ce jour là, dans les profondeur du Razkaal, tu ne bronchas pas, lorsque le prince des songes s’avança. Et lorsque ses serres glacées vinrent rencontrer ton visage pétrifié, il était trop tard. Le froid mordant de ses doigts glacés sur tes joues étaient de loin la sensation la plus réelle que tu ais ressenti ces derniers jours. Tout comme l’explosion qui s'ensuivit. Absorbée par le brouillard mauve qui saturait tes sens, alors que les dernières bribes éveillées de ta conscience se perdaient dans les deux billes noires qui t’observaient avec intensité, absorbant toute lumière tel deux abîmes. Même la douleur irradiant ta main gauche, se serrant en vain, ne suffit pas à t’empêcher de perdre pied.
    Alors, à quoi pense t-on lorsque la réalité disparaît ? Une question dont tu ne détenais guère la réponse, ta capacité à penser, à analyser t'ayant été retirée par la saturation de tes sens. Crissement métalliques, et hurlement inhumains sur muaient en une multitudes de voix dissonantes et suppliantes, brillant douloureusement tes tympans. Ton odorat lupin n’était pas épargné non plus tant la puanteur qui envahissait tes narines te ramenait dans les ruelles humides de Liberty, puisque jusque dans les charniers de Sancta. Un hurlement, le tiens, retentis et vint finalement se joindre à la symphonie des hurlements, et d’un chant guttural indéchiffrable qui résonnait jusque dans ta cage thoracique.La douleur était insupportable, et en l’absence de repère stable, tu étais incapable de raisonner. L’image de l’ombre de Xo Rath’ vint un instant se superposer aux chants funestes. Et lorsque la clameur infernale diminuait enfin, c’est une terreur d’un tout autre niveau qui vint te saisir les tripes. L’écho des voix se répercutaient partout autour de toi sur des murs invisibles. Mais cet écho là, tu n’avais pas besoin de penser pour le reconnaître. Cette réponse-là était instinctive, familière. L’écho des sons entre les épais murs de pierre du Razkaal étaient inimitables. Tombée à genoux, presque suppliante, ta silhouette pourtant loin d’être frêle se recroquevilla encore un peu plus sur le sol glacé, pourtant immatériel, de cette forteresse dont tu te retrouvais à présent la prisonnière.

    La Bête du Razkaal, fière et droite que tu étais, avait perdu de son aplomb et ses mots que tu aurais autrefois déclamés, glissèrent hors de tes lèvres comme un dernier soupir, lorsqu’enfin tu retrouva assez de souffle pour parler.

    - J’emmerde mes rêves , et j’emmerde la paix .. laissez moi…. rentrer.

    Vibrants dans l’obscurité, alors que tu peinais à réaliser pleinement la situation. Ton corps fut secoué d’un rire nerveux, plus proche du sanglot que ta fierté ne pouvait encaisser. Rentrer…. mais où ? A Justice ? au Razkaal ? Bha voila, tu y étais finalement. Et dire que tu t’étais imaginée pouvoir y retourner sans t’effondrer. Quel cruel manque de lucidité.
    Tes iris jaunes scintillaient faiblement dans les ténèbres, à la recherche de la moindre parcelle de lumière. Mais tout ce que tu distinguais ne parvenait qu'à renforcer la peur qui t’habitait. Les ombres semblaient s’amuser de la situation et dansaient cruellement autour de toi. Certaines silhouettes t’étaient presque familières. Des visages de prisonniers, les masques de collègues disparus à jamais aux visages accusateurs. Sous ses centaines d’yeux observateurs braqués sur toi, tout ton corps te démangeait. Tu aurais tant payé pour disparaître. Pitoyable tu tentait en vain de reculer, dans cet espace immatériel ou le temps et l’espace ne semblaient pas avoir d’emprise. Du moins, pas toujours. Car le raclement familier qui arrivait sur ta gauche, te parut soudainement bien réel.

    La douce mélodie, du bois creux râclant la pierre froide. Et le premier élément tangible que tu pût enfin distinguer glissa jusqu'à tes pieds. Un vieux masque de bois peint, celui d’un loup au visage rieur. S’il fallait accepter que la raison ne mènerait à rien en ces lieux, autant accepter l’inacceptable, te fier à tes sens, à tes ressentis. Un mot que déjà tu haïssais. Mais tu étais bien forcée de constater qu’il faisait ses preuves. Car aussitôt que tu t’étais saisi de l’objet, tu l’avais naturellement porté à son visage, et t’étais relevée. Et ce en dépit de la terreur qui te rongeait encore les entrailles. Fébrile mais debout, tu te tenais à présent prête à tenir tête à l’obscurité. Puisque c’est ce que les Prince des Songe attendait de toi. Et en bon limier, tu savais ou chercher. Et tu n’avais pas non plus besoin de voir pour t’y rendre. Il fallait descendre, là où tout avait commencé, au cœur du Razkaal.


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  • Ven 28 Juil - 3:43
    Tout avait bien changé dans le bosquet fleuri où Rêve avait enfin, par sa magie blasphématoire, réussi à creuser des sillons si profonds dans le réel qu'il en était parvenu à y laisser couler l'essence même de la folie. Enfermé dans le creux de son dôme illusoire où la lumière ne pénétrait plus le moins du monde, l'immense volatile soutenait le corps inanimé de sa proie du soir. Malgré la bienveillance apparente dont la nature l'avait pourvu, le Voyageur avait désormais tout l'air d'être le prédateur sinistre auquel il avait si souvent emprunté le mystérieux faciès. Bien à l'abri des regards indiscrets, la bête se métamorphosait à nouveau et sa douce silhouette se transformait lentement pour devenir à terme celle que redoutaient les mortels.

    Les plumes fondaient pour devenir tendons, épines ou encore tentacules et autres mandibules. Les roucoulements tranquilles s'étaient changés en immondes cliquetis et sur toute la surface de son corps devenu décharné, des formes indescriptibles et fugaces grouillaient, s'en allaient et venaient en poussant de furtifs gémissements déplaisants. Le cou du monstre se fendit verticalement, révélant d'innombrables rangées de crocs acérés s'ouvrant en une gueule informe. Grognant, croassant et s'excitant à l'idée de pouvoir enfin se repaître d'un rêve aux émotions aussi contrastées que terribles, Rêve exultait réellement. Les dents chatouillaient la peau de la jeune femme et tandis qu'une main griffue soutenait son corps, l'autre s'agrippait fermement au crâne de cette dernière, permettant à la magie obscure de l'être cauchemardesque de s'insinuer en elle.

    Les yeux rougeoyants et humides de la chimère qui caquetait de plaisir dans son onirique enfer s'agitaient furieusement, tremblant férocement mais ne percevant rien car, dans les ténèbres les plus insondables, c'était par les yeux de sa victime qu'il revoyait son monde d'origine. Enfin, il pénétrait un rêve qui valait la peine d'être offert à sa noble vue. Cauchemar vit l'escalier, entendit les hurlements de douleur et aperçut enfin le masque curieux faisant office pour elle d'artefact protecteur. Le corps de la louve se raidit brièvement mais de la mâchoire immonde s'échappa une seconde vague de brume corrompue et lorsque la dormeuse aspira malgré elle cette substance mystérieuse, son enveloppe s'adoucit à nouveau, entièrement à la merci de son monstrueux tortionnaire qui paraissait trouver son compte dans ce marché dont il n'avait pas expressément spécifié les termes. Malgré l'horreur, une part de bonté subsistait éternellement en lui et ce fut donc avec douceur qu'il communiqua à son hôte :

    "Le masque est ton ancre. Ne t'en sépare pas. Va au plus profond de tes propres abysses. Aventure-toi avec courage dans le dédale de tes songes. Qu'as-tu à craindre, après tout, d'un simple rêve fugace ?"

    Cauchemar mentait. Il savait pertinemment que fouler du pied les sentiers d'une psyché tourmentée comportait d'innombrables risques. L'esprit agissait bien souvent comme gardien de ce qui ne pouvait être enduré et si la louve avait perdu la clé la menant au sommeil, c'était sans doute pour une raison toute particulière. Le Voyageur n'avait cure de ces risques, faisait fi de la logique. Il était un explorateur, un soigneur et un même un aventurier. Aucune découverte n'était faite à reculons et pas la moindre victoire dotée de véritable sens n'était obtenue dans le confort. Il se devait de contraindre la louve à dépasser ses propres limites, à explorer sa noirceur pour la dompter entièrement. L'escalier symbolique dans lequel se plongeait mentalement la guerrière se referma petit à petit. Les murs se rapprochèrent et les pierres sur lesquelles elle venaient de marcher s'écroulèrent dans le néant les unes après les autres. Il n'y eut bientôt que les marches, ainsi que la désagréable sensation d'y être poussée par une force invisible mais bel et bien tangible.

    Dans le monde réel, Rêve fit glisser sa main sur les hanches de sa victime ensommeillée. La main immense ressemblant à s'y méprendre à une gigantesque araignée s'aplatit contre le dos de Dactyle et appliqua une pression, progressivement plus forte, tandis que les griffes de la chimère s'enfonçaient doucement dans sa nuque. Il était pour lui hors de question désormais de lui laisser l'option d'un retour en arrière. Condamnée à agir ou à se laisser dévorer, la rêveuse faisait face à son destin.

    Rêve cependant, fit preuve d'une certaine clémence. Prélevée impunément dans les souvenirs exposés de sa proie affaiblie, il manifesta par l'esprit une illusion qui vint s'infiltrer dans l'hallucination située à la croisée du rêve et de la réalité. Une lueur aveuglante aux notes bleutées se manifesta dans l'escalier, juste devant la louve. Elle prit prestement forme humaine et, bien que ses contours furent confus et incertains, Dactyle put aussitôt l'identifier et en achever mentalement les derniers détails. Face à elle se trouvait une version fantasmée de Rowena qui la saisit par la main, l'encourageant à s'avancer plus profondément dans les limbes de ses souvenirs.

    Cauchemar parla à nouveau, volant encore une voix qui n'était pas la sienne et qu'il recomposa par pur instinct :

    "Allons-y, tu veux bien ?"
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  • Sam 29 Juil - 1:05
    Rêve
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    Seule, tu te tenais à présent dressée au milieu de cet abyssal océan de ténèbres, un masque de bois comme seule bouée de sauvetage. Aussi dérisoire et illusoire que soit cet artefact, il d’aiderait à ne pas te perdre.
    L’écho de ta respiration contre les parois rugueuses, l’impression d’une infranchissable barrière entre toi et toi environnement, étaient autant de sensations auxquelles tu te raccrochais pour ne pas perdre pied. Pour t’ancrer dans cette réalité qui à présent était la tienne. Tu dormais, et tu le savais enfin en quelque sorte. Et si de prime abord, ta première pensée aurait été de t’inquiéter de ce que ton maudit corps livré à tes plus grandes peurs pouvait bien être ne traîne de réduire en charpie cette fois ci. Dans le cas présent, il s'agissait bien du dernier de tes soucis. D’ailleurs, l’instant d’après tu avais déjà oublié. Peu importe où se situait la réalité, tes sens eux, percevaient clairement les lieux. Le Razkaal, et rien d’autre. Alors où que tu te trouves réellement, tu ne voyais d’autre moyen d’y échapper que de jouer avec les cartes que la funeste incarnation des songes t’avait distribué. Un simple masque de bois, celui d’un limier.

    - Probablement beaucoup de choses … murmura tu plus pour toi même que pour l’entité qui venait de t’énoncer le déroulement d’une partie qui semblait bien plus inoffensive pour elle que pour toi. Toi qui peinais déjà à accepter l’existence même de cet instant, en imaginer les sinistres conséquences demandait un effort supplémentaire que tu n'étais pas prête à fournir.

    Mais déjà, tu n’y pensais plus. Seul comptais tes pas, lents et un certains, et leur échos sur la pierre humide dont tu ne distinguait pas les contours. Assez tangibles cependant, pour savoir que les deux marches précédentes venaient de disparaître dans le néant. Ou que mène ces ténèbres tu ne voulais définitivement pas y mettre les pieds. Il te fallait avancer plus vite, immédiatement. L’air ambiant, si tant est qu’il y ait réellement de l’air dans cet endroit maudit, te collait désagréablement à la peau, lourd, mouvant, presque vivant. Et malgré la quinte de toux qui te saisit, tu pressas l’allure dans un tic tac régulier, celui d’une horloge funèbre résonnant au cœur de cet escalier immatériel. Et tu pouvais presque sentir les murs invisibles se refermer sur toi, et la pression de l’air augmente presque douloureusement, t’enserrant la gorge de ses tentacules immatérielles.
    Alors que ta démarche régulière se changeait progressivement en cavale désordonnée, les paroles du maître des lieux résonnaient dans ta tête. “ un rêve fugace hein ?” Ton effroi lui en revanche n’avait définitivement rien de fugace.
    Et ces escaliers interminables non plus.


    Mais lorsqu’une lueur bleutée se mit à palpiter à quelques marches de là, tu ralentis immédiatement ta course. Surprise ? inquiète ? pétrifiée ? tu ne l’étais nullement. Car lorsque l’étincelle prit forme, une forme qui t’avait été familière autrefois. Et dont la voix mélodieuse s’élevait avec légèreté à travers son masque d’acier. Tu n’hésitas pas une seule seconde à saisir la main qui t’étais tendue. La laissant tranquillement t’entrainer un peu plus profondément dans les ténèbres. Les deux silhouettes descendirent ainsi silencieusement les marches. La Banshee et la Bête du Razkaal de nouveau réunie pour une ultime garde de nuit. Et lorsqu’enfin tu pu en distinguer le bout, ce fut pour te retrouver à l’embranchement de couloirs tout aussi sombres et inquiétants.

    Aux côtés de la Banshee, tes pas se faisaient plus assurés. Les contours du masque de la Banshee étaient parfaitement nettes, luisant à la lumière d’une source qui t’étais imperceptible. Tu ne saurais l’expliquer pourtant tu était indubitablement apaisée par cette présence familière à tes sens, mais étrangement inconnue de ta raison. Et ta main dans la sienne, se serra à cette constatation. Ce masque, qu’y avait t’il en dessous déjà ? Mais lorsqu’elle rompit enfin le silence que tu n’osais briser, ces considérations s’évanouirent aussitôt.

    - ça fait longtemps que n’est pas venue n’est ce pas ? Son ton mélodieux n’était ni froid, ni accusateur. Et le coup de coude que tu devinais complice non plus.

    Pourtant une certaine gêne te saisit. Si les couloirs t’étaient familiers, ton hésitation témoignait d’une certaine absence, mais depuis quand ? et pourquoi.

    - Oui. finis tu par admettre, en tournant la tête vers en embranchement d'où s’échappait un énième cris, une infime note de la mélodie du Razkaal. Mais une fois de plus, tes yeux ne discernaient rien.Mais alors que la main qui tenait toujours la tienne t’attirais dans une direction, tu finis pas oser l’interroger. Où sont les autres ?


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  • Sam 29 Juil - 3:48
    La poupée illusoire de Rêve avait été reconnue et ce fut avec une satisfaction certaine qu'il laissa échapper jusque dans le monde réel un rire rauque et profond, semblable au sinistre raclement d'un navire heurtant les grands fonds. Le Songe aussitôt avait œuvré de concert avec le prince issu de son domaine en cédant la création hallucinée à la rêveuse perdue. Ce curieux homoncule à la silhouette imparfaite avait rapidement été métamorphosé, par la simple force de l'esprit de Dactyle, en cette amie si chère qu'elle avait tant désirer retrouver dans l'obscurité. Les deux gardiennes s'aventurèrent ensemble dans les couloirs sinueux qui naissaient et disparaissaient pour elle et Rêve, tapi dans les ombres, se contenta de les suivre tout en maintenant le contrôle. Dactyle posa une question à sa poupée imparfaite mais cette dernière, instable et manquant de substance, ne répondit pas aussitôt.

    Une secousse parcourut le corps de la louve. Face à cette brève incompréhension, elle manqua de peu de s'éloigner de l'illusion et de reprendre pied. Le marionnettiste reprit donc les commandes en métamorphosant sa main monstrueuse pour reproduire avec soin celle de l'amie fantasmée avec laquelle Dactyle explorait les couloirs sinueux de son esprit torturé. Les griffes devirent des longues, les plumes se dissimulèrent sous la peau et la main de Rowena vint saisir fermement celle de la lycanthrope, l'enserrant pour s'accaparer son attention tandis que Rêve murmurait à l'oreille de la rêveuse :

    "Ils n'ont pas pu venir. Cet endroit t'appartient, ils n'y ont pas leur place."

    Son message passa jusqu'au rêve et fut prononcé par les lèvres de la Rowena hallucinée. Même si les propos comportaient une once de vérité, ils constituaient tout de même un demi-mensonge. Halewyn, sans doute, aurait trouvé le moyen de s'y frayer un chemin et si le Marchand de Sable aurait adoré partager telle expérience en sa compagnie, sa voracité et son impatience du moment l'avaient mené à agir davantage avec passion qu'avec raison. D'une certaine manière, il avait également profiter de la faiblesse momentanée de sa proie pour lui offrir son aide et c'était une occasion qui ne se présentait pas toujours au moment le plus opportun.

    Les deux femmes passèrent devant une cellule et aperçurent alors une silhouette curieuse qui n'avait rien d'humain. Au fin-fond de la geôle se trouvait une paire d'yeux luminescents, surmontés par une foule de tentacules sifflantes qui s'agitèrent à la venue du duo perturbateur. La silhouette serpentine se dressa dans les ténèbres et vint glisser lentement jusqu'à l'interstice coupé dans l'énorme plaque métallique faisant office de porte. Rêve prit l'ascendant, contrôla son vaisseau et la main de Rowena devint alors la sienne. Il s'empara de la petite poignée permettant de verrouiller la fenêtre de métal et dans un claquement lourd et résonnant, Ssisska disparut dans l'ombre. On l'entendit brièvement hurler à la mort mais Rêve eut tôt fait de maitriser cette interférence en chassant de l'esprit de Dactyle cette apparition sans queue ni tête.

    Sans le savoir, elle avait par sa question déclenché d'innombrables invitations, un stratagème employé par son esprit pour détourner son attention du mal primordial qui se dissimulait aux étages inférieurs. Rêve savait qu'il était de son devoir d'empêcher ces intrusions malvenues qui ne faisaient que freiner l'avancée de la louve insomniaque. Rowena parla à nouveau en s'adressant aux ombres, ce d'une voix qui n'était pas tout à fait la sienne de par sa froideur soudaine :

    "Pars, petit rêve. Tu ne fais que nous ralentir."

    Rêve trouvait cela partiellement déplaisant. Autrefois, il aurait exercé sur ce songe un contrôle absolu et aurait pu altérer le moindre aspect, du décor aux propos en passant par chaque apparition de la moindre pierre sculptée. Il avait aujourd'hui l'impression de n'être que passager et de ne disposer sur cet univers que d'une maîtrise médiocre. Mobiliser l'entièreté de ses pouvoirs pour obtenir un résultat si incertain avait de quoi décevoir mais c'était par amour pour la jeune rêveuse qu'il redoublait d'efforts malgré ces déconvenues. Pouvait-il faire confiance au tissu du Songe pour œuvrer en son sens ? Probablement pas, mais il ne cesserait pas d'essayer pour autant.

    Face à Dactyle, la noirceur s'épaississait d'un côté pour s'affaisser ailleurs. Des pierres taillées s'accumulaient les unes sur les autres pour former des couloirs là où il n'y en avait pas quelques instants plus tôt tandis que, dans son dos, d'anciens accès se refermaient silencieusement pour devenir des murs. Cette architecture dénuée de toute logique ne possédait qu'une seule règle : celle de mener irrémédiablement vers le bas, et jamais vers le haut. La fausse Rowena poussa à accélérer la cadence car Rêve, sujet à des limitations nouvelles, sentait bien que le mal profond situé à l'extrême limite de ce cauchemar tentait de le repousser.

    Aux confins de l'esprit de Dactyle, quelque chose ne voulait pas être découvert et il tardait au prince le pouvoir le voir de ses propres yeux.
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  • Lun 7 Aoû - 23:02
    Rêve
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    Le silence s’était fait pesant, désagréable, plein de sous entendus et lourd de vérités sous jacentes que tu n’avais finalement plus vraiment envie de découvrir. Et lorsque la Banshee marqua un arrêt à ta question, tu cessas immédiatement de respirer. Comme prenant soudain conscience que quelque chose n’allait pas. Mais la prise qui se resserra sur ta main te rappela douloureusement à l’ordre. La Banshee semblait bien décidée à t’emmener au plus profond de cet abysse.

    Exact… soufflas tu avec une amère confusion.

    Te laissant entraîner un peu plus loin dans le sombre dédale, toujours plus loin, toujours plus profond. C’était grisant, terrifiant. Dans l’obscurité, tu ne pouvais rien anticiper, seulement avancer à l’aveugle et poser tes pieds l’un après l'autre sur des pierres immatérielles qui n’étaient même là l’instant d’avant, ni celui d’après. Pas de retour en arrière, pas d’échappatoire. S’il y’en avait un, il devait se trouver au bout de l’un de ces sombres et interminables couloirs, ou derrière l’une de ces portes de fer. D’ailleurs depuis quand y’avait t’il des cellules ? Mais alors que que tu t’approchais de cette dernière, glissant ton regard ambré dans l’interstice. Pour n’y distinguer qu’un peu plus de ténèbres dans un océan de rien, surprenant. A moins que… deux billes luminescentes semblaient se détacher de l’obscurité, et tu crût d’abord à un miroir. Avant de la voir s’avancer brutalement, une silhouette informe, tentaculaire et sifflante de rage. La Gorgone. Mais tu eût à peine le temps de réaliser, que la Banshee verrouilla la fenêtre dans un claquement sec, bientôt suivit d’un hurlement sinistre. Tu voulus protester, saisir la poignée et libérer la Gorgone, alors que d'autres sons semblaient émaner de derrière la porte, comme si les ombres s’amassaient derrière et autour d’elle, peinant à prendre forme. Un coup d’épaule contre la porte de fer résonna dans les couloirs puis un autre. tes efforts étaient vain, et derrière la porte close, les ombres se tordaient et se distordaient dans un murmure constant. D’abord des hurlements de loups lointain, qui se muèrent en cris de douleurs, avant de s'évanouir. Comme dissolu par les paroles aux airs d’incantation prononcé par, la chose, à tes côtés. Qui chassèrent également les dernières brumes qui embrouillaient ton esprit. Te permettant finalement de réaliser à nouveau une chose qui te dérangeait depuis le début. Cet autre limier, dont le masque t’étais indéniablement familier. Il avait un visage. Il avait forcément, un visage. Mais tu étais pourtant incapable de le visualiser. Cette simple idée te terrifia, et tu chassa immédiatement de ton esprit ses vaines tentatives. Qui risquaient tôt ou tard de se changer en musée des horreurs.

    Car elle l’avait dit, répété une fois de plus. Tout ceci n’était qu’un rêve. Une sinistre toile, une collection de souvenirs, de peurs et pensées collées bout à bout dans un amalgame informe orchestré par un sinistre architecte. Un tableau de toutes les ténèbres et étrangetés auxquelles tu ne voulais pas penser. A tout ce que tu réduisais au silence, et que, à la manière du Razkaal, tu enfermais dans des cellules hermétiques, pour ne jamais les rouvrir. Mais voilà qu’en te forçant à arpenter les couloirs de ton esprit, les portes n’étaient plus tout à fait hermétiques, et laissaient filer leur funeste contenue. Ce chemin de pensé, tu l’avais déjà emprunté plusieurs fois, et perdu de vu tout autant. Mais l’éclat de lucidité quant à la réalisation de la nature de ce qui t’accompagnait finit de te faire reprendre pied.

    Le sus nommé Prince des songes t’avait avertis. Il n’y qu’en allant au fond de tes propres ténèbres que tu pourrais te réveiller. Mais tu t’y connaissais suffisamment en magie psychique pour savoir que la chose était rarement aussi aisée.
    Car il était une chose, des choses, qui refusaient d’être découvertes. Avec le sommeil, les rêves aussi t’avaient quitté. Ce qu’ils avaient de beaux, c’est qu’agréables ou non, ils étaient inconséquents , sans prise de décisions ni retombées dramatiques. Seulement de brèves histoires fugaces qui disparaissaient au petit matin.
    Mais dans le cas présent, s’il utilisait ainsi ta mémoire à sa guise pour ces jeux sinistres, tu n’avais pas hâte de croiser toutes les horreurs auxquelles tu avais pu penser. Ce que tu avais vu. Et ce que tu avais oublié.
    Alors, laissant définitivement la porte de fer derrière toi pour t’aventurer un peu plus loin dans les ténèbres, c’est directement à l'architecte que tu t’adressas, au travers de sa marionnette :

    -  J’ai compris, montres moi ce qu’il y’a en bas. Tout en bas.


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  • Mer 16 Aoû - 0:19
    Le visage confus de la Banshee parut sourire, mais son faciès illisible fut aussitôt gommé de l'esprit tourmenté de Dactyle pour redevenir cette vague idée dénuée de vraie substance et dont les contours peu définis semblaient tous raturés à la hâte à chaque fois qu'ils se précisaient pour adopter une forme ou une autre. Maintenant que la louve acceptait d'aller là où le guide onirique souhaitait la mener, les choses se simplifiaient grandement. Lorsque la voix de la guerrière s'éleva dans l'insondable obscurité, le rêve tout entier sembla entrer en résonnance avec ses dires, précisant par une impulsion visible l'aspect des couloirs qu'ils arpentaient ensemble.

    Dans le monde extérieur, les crocs ornant la gueule ventrale de Rêve frémirent de satisfaction dans une série de chuintements visqueux. La bouche s'ouvrit encore davantage, au point de devenir pour le corps inanimé du Limier une véritable assise. Elle y fut précautionneusement déposée par les mains puissantes de la chouette monstrueuse tandis que les excroissances tentaculaires qu'étaient devenues ses plumes se mouvaient doucement autour d'elle, formant ainsi un cocon grouillant. Cinq serres se posèrent sur le menton de la louve, l'autre main enserra son crâne tout entier et les yeux luminescents de la bête s'illuminèrent de plus belle lorsqu'elle retrouva la vue de l'esprit de la dormeuse.

    Par les images incertaines qui fusaient dans l'esprit de la pauvrette assoupie, Rêve reprit doucement le contrôle de la situation. Susurrant à l'oreille de la rêveuse des indications incompréhensibles, il s'empara par magie de sa poupée illusoire qu'il avait brièvement relâchée et qui avait manqué, l'espace d'un court instant, de traverser le sol de pierre fantasmée en disparaissant dans les limbes des souvenirs. La Banshee parut retrouver ses couleurs lorsqu'il s'en empara et sa poigne devint plus ferme, lui redonnant cette consistance requise pour maintenir l'illusion. Dans son état de semi-conscience, Dactyle semblait toutefois avoir détecté la supercherie mais malgré sa perception de l'illusion, elle ne la balaya pas.

    Etait-ce par foi envers les techniques mystérieuses du Marchand de Sable qu'elle se rompait tout de même à l'exercice ? Par dépit, par désespoir ? Rêve ne s'en inquiéta pas plus longtemps et poussa sa marionnette à aller de l'avant, accomplissant ainsi les vœux de la dormeuse qui, de son propre aveu, paraissait vouloir découvrir ce qui avait trop longtemps été enfoui en elle. Par la bouche rieuse de son enveloppe volée, le Voyageur s'exprima :

    "Tu es courageuse. Bien plus que tu ne le penses."

    Une impulsion magique se déploya, semblant trouver son origine aux pieds de la paire de Limiers. Une lueur bleutée dévoila alors en une vague circulaire les formes et aspérités de l'escalier qui descendait tout droit vers les tréfonds du cauchemar. La Banshee se tourna vers Dactyle à nouveau et, lors de son mouvement extraordinairement lent, son visage confus parut l'espace d'un instant devenir celui d'Halewyn, pour se métamorphoser ensuite en un masque intégral représentant le faciès blafard d'une chouette. Au loin, des grognements étranglés de canidés se firent entendre en échos et le Voyageur, par cet intermédiaire qu'il avait choisi pour communiquer, murmura à trois voix une phrase dont les mots se superposaient étrangement :

    "Je te protègerai de tout, tu es ici chez toi/moi."

    Les deux silhouettes s'engagèrent ensemble dans l'escalier. Lorsqu'elles dépassèrent la première marche, la longueur de la descente sembla se diviser par deux dans un raclement mystique et la porte située tout en bas se révéla. Rêve regarda derrière lui, serrant plus fort la main de la jeune combattante dans le monde onirique et faisant de même dans le monde réel. Un nuage de brume violette l'enveloppa à nouveau, l'enfonçant plus profondément dans son sommeil tumultueux dont le moindre choc trop brusque risquait de l'extirper par mégarde. Rêve, contrairement à celle qu'il accompagnait dans la gueule hurlante de ses traumatismes enfouis, savait pertinemment ce qui les attendait derrière la porte.

    "Fais-moi/toi confiance."

    Un deuxième pour une autre moitié d'escalier dévorée dans un mouvement si abrupt qu'il en fut désorientant, suivi par une vague de chaleur bien trop réelle qui les agressa depuis la porte. Les cris bestiaux, plus forts et terribles, se firent assourdissants. Rêve voulut parler à nouveau, mais ses mots furent noyés dans la cataclysmique fournaise et la pluie incessante de gémissements sauvages. La porte était désormais bien visible.

    "C'est un Dieu qui t'accompagne. Tu n'as rien à craindre. Ce n'est qu'un rêve. Tu es seule. C'est ton combat. C'est notre combat. Nous sommes deux. Tu es seule."

    Dernier pas, la porte fut devant elles. Il y eut un long regard échangé puis le Marchand de Sable déguisé prit la main de la louve et lui fit poser sur l'énorme porte, qu'elles repoussèrent ensemble dans un long raclement. L'enfer vint alors les engloutir toutes entières.

    Spoiler:

    Partout, des gueules de loups titanesques apparaissaient, tapissant les murs et le sol. Le couloir dont on ne percevait même pas les réelles dimensions n'était fait ni de pierre, ni de métal, mais bel et bien d'une structure ignoble mêlant pelage sale et bouillie organique informe. Les bêtes folles rugissaient partout, étiraient leurs têtes déformées et chimériques en se ruant vers les deux aventurières, se stoppant uniquement à quelques centimètres à chaque tentative de morsure, seulement pour asperger les intruses d'une bile âcre à l'odeur de soufre et de pourriture cadavérique.

    Certaines des bêtes mouraient, dévorées par leurs consœurs seulement pour céder place dans une effusion de sang et de lave à d'autres engeances plus ignobles encore. Il n'y avait pas que les lamentations des bêtes. Il y avait des voix. La sienne et celle de tant d'autres, des échos du passé cherchant à la pousser à fuir, à se réveiller pour s'extraire de ce supplice. Les voix elles-mêmes semblaient avalées par le mal qui habitait ces lieux et c'était dans une tempête de larmes et de bruits d'épées entrechoquées que les sons s'étranglaient les uns après les autres.

    C'était l'incarnation même de la bête intérieure de Dactyle, cette envie incontrôlable d'anéantir, de se venger, de se tuer en se noyant dans le sang de ses propres ennemis. Il n'y avait ici pardon ni salut, seulement une rage incessante jetée à la figure de celle à l'origine d'un tel déferlement de violence sauvage. Rêve se tourna pour hurler, mais son image trouble n'émit pas le moindre son. Il se contenta donc de tirer la jeune lycanthrope vers l'avant, lui faisant signe de courir pour échapper au pire. Le temps était compté.

    Le couloir, aussi terrible qu'immense, semblait se refermer sur elles.
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  • Jeu 14 Sep - 0:20
    Rêve
    Le Repos de la Bête

     L’air autour de toi semblait vibrer, à tes paroles. Et un battement de cil plus tard, tout avait pris en substance. Des pierres taillées à l’humidité ambiante, tout te paraissait à présent plus concret, plus réel. Tu avais beau savoir que rien de tout ça n’était véritablement réel, tous tes sens participaient à te convaincre du contraire. Si l’on disait souvent que savoir, c’était pouvoir, tu étais actuellement la parfaite illustration du contraire.
    Il n’y avait qu’à demander…
    Quoique, l’environnement s’était bel et bien plié à ta volonté, et en accord avec celle-ci, le couloir te mènerait là où il faudrait . C’était une certitude. Et ce, que tu sois seule ou accompagnée. Si l’image de ton guide du moment avait vacillé dans un sens contraire au reste de l’environnement, à telle point que tu avais craint qu’elle ne disparaisse, la mystérieuse figure avait rapidement repris en consistance. Un soulagement. Car quelle que soit sa nature, et peu importe en quoi et pourquoi cette présence t’étais rassurante, tu n’étais pas certaine de pouvoir continuer à avancer seule. Etonnant pour quelqu’un d’aussi solitaire, que de réaliser que tu n’avais toujours que travaillé en équipe. Des gangs des rues aux limiers du Razkaal puis aux Spectres. En dehors de ces derniers mois, tu n’avais jamais vraiment été seule, mais c’est bien ici, dans les confins de cette vallée isolée que tu avais touché le fond. A telle point que même l’illusion d’une présence t’étais salvatrice. pathétique.
    Et elle osait t’appeler Courageuse. c’était pourtant bien la lâcheté qui avait conduit tes pas jusqu’aux portes du Royaume du Prince des Songes. Un Royaume que tu avais toi même fuis, par peur de ce que tu pouvais y découvrir. De ce que tu y avais abandonné. Mais les maudites germes de ce que tu y avais laissé pourrir avaient fini par fleurir, et répandre ainsi leur poison jusque dans des heures de veille. Jusqu’à ce que tu ne soit plus que l’ombre de toi-même.
    Acculée, tu ne pouvais plus que faire le premier pas, et il n’avait même pas à être grand. Car le sol venait littéralement de s’ouvrir devant tes pieds, dévoilant une rangées de marches jusqu’alors inexistantes. Tu avais demandé et tu étais à présent servie. Ne restait plus qu’à avoir le courage d’aller au bout. De descendre jusqu’au fond de l’abîme, que tes yeux inquiets quittèrent un instant pour se poser sur la présence à tes cotés, pour déterminer si elle suivrait ou non. Un frisson parcouru alors son visage vacillant se métamorphosait à son tour. Tu eut presque un mouvement de recule en croyant discerner le visage d’un Spectre familier, jusqu'à ce qu’il ne soit remplacé par le visage immaculé d’une chouette blanche. Un faciès déjà plus proche de celui de la créature sur laquelle tu étais tombée dans les bois… le Prince des Songes… l’architecte de ces lieux. Un spectateur, un guide te murmurant ses instructions, et qui en dépit de l’enfer dans lequel il t’avait plongé, demeurait à tes côtés.
    Ses mots se voulaient rassurants, et son étrange voix a triple échos couvrit un bref instant les râles agonisants qui montaient depuis les tréfonds des marches dont tu ne distinguait rien de l’origine. Allié ou ennemi, si tu devais être trahi, ou mourir ici, tu préférais que ce soit de sa main. Car même si tu ignorais tout de ce qui t'attendait, revenir entre ces murs aussi illusoires soient ils, t’avaient donné une certitude. Tu ne devais pas mourir Razkaal. Jamais, et sous aucun prétexte. Au risque de devenir l’un de ses éternels spectre hurlant leur désespoir entre les murs à la recherche de ce dont ils ne se souviennent pas avoir perdu.
    Alors, sans poser plus de question tu te laissas entraîner vers la frontière de l’abîme, ta main toujours désespérément accrochée à celle qui t’y conduisait à ta demande.

    Tu sais, toi, ce qui attends en bas n'est ce pas?

    Tu n’étais pas sûre de le savoir toi-même. Mais les réponses aussi funestes soient t elles ne tarderaient pas à se révéler. Sans t’en rendre compte ta  prise se resserra encore davantage alors qu’une porte venait de se matérialiser devant vous. Un cas classique d’espace onirique incohérent, que celui des longs couloirs qui s’allongent ou se réduisent. Une sensation que ta privation de sommeil t’avait fait oublier. Aussi tu ne pouvais même pas ironiser de la situation tant tout te paraissait bien trop réel. L’espace qui te séparait de la porte se réduisit de nouveau, manquant de te faire perdre l’équilibre, et la vague de chaleur qui s’en dégagea te força à détourner le regard. Et tu put ainsi constater que les marches que te venais de fouler disparaissaient à leur tour, avalées par le néant.
    Pas de retour possible.
    Mourir ici, ou franchir la porte.
    Tu serais ta main si fort que tes articulations blanchirent, et au travers de ton masque de bois tu pouvais sentir la chaleur traverser la ferraille jusqu'à vous. La chaleur n’était rien, à côté du vacarme infernal qui s’en échappait. Des gémissements, des hurlements étouffés comme les râles de milliers de chiens jetés dans un volcan pour y mourir dévorés par les flammes. Rien de comparable avec des cris bestiaux et hurlement victorieux que tu avais pu entendre résonner dans les quartiers sombres et poisseux de Liberty à une certaine époque.

    Ton cœur se serra aux paroles du Marchands de sables dont tu ne parvint à discerner les paroles. Et devant cette porte, la morsure glaciale de l’horreur t’avait enfin quitté. Remplacé par le brûlure de l’adrénaline qui parcourait tes muscles en anticipation de ce qui pouvait se trouver derrière cette porte. Lorsque
    Tu ne pouvais que l’imaginer, alors que le Prince des Songes, savait, et lorsque ta main se reposa contre la surface métallique, tu fus surprise que ta peau ne fondît pas à son contact. On dit toujours que l’on imagine le pire, mais tes pires suppositions s’avérèrent de simples contes pour enfant, à côté de l’enfer dans lequel tu venais de pénétrer.
    Tu avais déjà connu l’enfer, les profondeurs du Razkaal d’abord, puis Sancta, un enfer avec lequel celui-ci partageait l’odeur… et le goût aussi. Celui de la chair brûlée et des corps putréfiés. Un Rêve.. c’est ce que la Créature avait affirmé. Mais cet enfer ci, n’avait rien de moins réel.
    Tu n’eut pourtant pas le moindre mouvement de recul, pas le moindre tressaillement alors que l’une des ses immenses mâchoires nauséabondes vint claquer juste devant toi, avant de venir mourir un peu plus bas dévorées par ses avides consœurs. Dans un concert de hurlements meurtries, des gargouillis immondes de mares sang bouillonnantes se mêlaient aux voix difformes échappées de la gueules des créatures.

    La sidération t’empêchait de faire le moindre mouvement. Songeant que cette pièce était plus semblable à un estomac. Un endroit où les limiers envoyaient les prisonniers se faire digérer petit à petit, dévorés par leurs pires craintes, par le monstre qui les habitait. Par les crimes qui les avaient jetées dans les entrailles de la forteresse. Mais cette pièce-là t'appartenait. Entre autres plaintes mourantes, des appels à l’aide de voix bien trop humaines s’échappaient de ces gueules garnies de crocs sanguinolents. Tandis que d’autres appelaient à la révolte, au sang et à la chasse.

    La sidération. Un choc pur et dur. Face à l’enfer, à ton propre enfer, que pouvais tu faire de plus, si ce n’est le laisser te consumer et te détruire, comme il menaçait de le faire depuis toujours.Voilà donc, ce qui t’habitait. ce qui s’était éveillé à Sancta. Ce que tu laissais déferler sur le monde chaque fois que tu fermais les yeux. Ce que tu t’acharnais en vain à réduire au silence. Tu voulais hurler. Mais tu ne produisit pas un seul son, tu serais peut être tombée à genoux, résignée si tes muscles n’étaient pas si tétanisés.
    Dans un ultime réflexe ton bras gauche chercha en vain à saisir une épée qui aurait dû se trouver à ta taille, tu en vins à baisser ton regard vers celui- ci. Un bras difforme, bestiales, aux doigts prolongés de longues griffes acérées maculées de sang. Le même liquide carmin qui tâchait ces gueules béantes partout. C’était la marque de cette corruption. La première étape, la brèche par laquelle ta sauvagerie si longtemps enfouie s’était frayée un chemin dans ta vie. Il fallait t’en débarrasser, où la laisser te consumer. Et alors qu’un énième Cerbère se formait dans ta direction, tu leva ton bras dans sa direction à ton tour.

    Et si, tu la laissais t’attraper, juste là comma ça. Un coup de crocs, la moindre pression de mâchoire te briserai comme du petit bois. Le Cauchemar prendrai t’il fin, et le reste avec ?
    Au moment où les crocs auraient dû se refermer sur ton avant bras, une autre force te tira en arrière, et sans que tu ais le temps de réaliser tes pas martelaient à présent le sol immonde à un rythme effréné. Talonnant le limier au masque d’effraie immaculé qui paraissait d’autant plus irréel dans ce décor crasseux. Mais pourquoi s’enfuir ? N'était il pas le maître des lieux, le Prince des Songes ? Celui qui quelques instant auparavant avait évoqué “ un simple rêve fugace” ou rien ne pourrait t’arriver.
    Autant de questions qui fusaient dans ta tête et ne s’exprimaient qu’à travers ton regard suppliant cherchant désespérément une échappatoire alors que l’enfer se refermait sur vous. Et que l’immense gueule d’un loup difforme venait de prendre corps dans votre direction, ouvrant avidement ses mâchoires dévoilant au fond de celle-ci une étrange lueur. Porte de sortie, ou stratagème de baudroie des Abysse, il faudrait faire un choix.



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  • Jeu 14 Sep - 8:58
    Le masque d'effraie s'ouvrit, dévoilant le visage de Rowena qui, dans ce flot d'émotions ressenti par l'initiatrice de ce rêve tourmenté, avait étrangement gagné en précision. Il était infiniment rare de voir Rêve hurler de la sorte mais malgré ses tentatives rageuses d'être entendu par sa compagne, il ne parvenait via sa marionnette qu'à émettre des sons étouffés, voilés par l'océan hurlant et tumultueux des fantaisies monstrueuses de la lycanthrope endormie. Y avait-il dans sa manœuvre un incident ? Avait-il été incapable de maintenir le contrôle sur ce domaine onirique pourtant supposé être le sien ?

    Percevant non sans regret que ses mots ne parvenaient pas jusqu'à la louve que les visions d'horreur semblaient hypnotiser, le Démon déguisé renforça sa poigne, dans le monde fantasmé comme dans la réalité, ce pour tâcher de garder le contact avec l'esprit envouté de la jeune femme. Malgré l'absolue sidération qui paraissait s'être emparée de la rêveuse, la créature chimérique parvint par pur miracle à inciter sa partenaire à s'avancer malgré les assauts ininterrompus des bêtes enragées qui n'avaient de cesse de se démultiplier pour mugir leur colère. Des chocs, des secrets gardés trop longtemps en elle, des traumatismes divers issus d'une carrière trop lourde à porter pour un esprit abattu. Ces loups incarnaient tous ce que la bête intérieure était parvenu tant bien que mal à refouler, enfermant l'inacceptable en le jetant aux abysses pour permettre à l'enveloppe physique de subsister fébrilement. Ils étaient trop nombreux, trop puissants pour être arrêtés.

    Fort heureusement, les jambes de la pauvrette la portaient encore. Rêve hurla à nouveau mais à en juger par l'absence de réponse de la part de Dactyle, qu'elle fut verbale ou gestuelle, il se contenta de faire la seule chose encore en son pouvoir, à savoir courir vers la sortie qui devenait à peine perceptible. Tout autour d'eux, la situation empirait et les infernales visions semblaient gagner en force à mesure que la louve se perdaient dans leurs yeux embrasés. L'une des gueules abjectes fondit directement sur eux et d'autres cerbères se jetèrent à sa suite. La marionnette de Rêve se jeta en arrière et; d'un revers de la main, elle esquissa un grand balayage qui vint émettre une colossale onde de choc faite de lumière immaculée. Les chiens enragés furent repoussés en arrière mais aussi vite qu'ils avaient été déboussolés, ils reprirent leur attaque dans une cacophonie d'aboiements déformés.

    Au bout du couloir, une autre tête bestiale fit son apparition et Rêve, visiblement au bord du gouffre, tira la rêveuse jusqu'à lui avant d'entreprendre l'ultime course vers cet échappatoire inespéré. Malgré sa perte de contrôle, il savait encore se diriger avec plus ou moins de précision dans le labyrinthe d'incertitudes et d'illusions qui peuplait l'esprit de la jeune guerrière. Les deux Limiers foncèrent, faisant fi du danger évident que représentait le gouffre aux crocs mortellement acérés. Rêve fut le premier à se jeter dans la lumière peu rassurante, entraînant derrière lui Dactyle. La bouche de la Baudroie se referma et il n'y eut plus rien d'autre que les ténèbres.

    Ils tombaient.

    Les bruits des chiens et des flammes s'étaient tus, cédant leur place à une horreur opposée en tout point au précédent spectacle. Seul phare dans l'obscurité la plus intégrale : ce contact ferme entre les mains des deux aventuriers oniriques. L'inexorable chute était terriblement longue et en l'absence de tout repère, trouver une prise dans ce tunnel ténébreux pour s'amortir paraissait tout bonnement impossible. La louve et le pantin du Prince se lâchèrent un bref instant, mais parvinrent aussitôt à se retrouver et cette fois-ci, ils raffermirent leur prise pour ne plus se perdre. Se retrouver esseulé, aussi profondément enfoncé dans cet ignoble rêve, constituait désormais un danger bien réel pour l'intégrité spirituelle de Dactyle.

    Il y eut un impact; suivi d'une multitude de craquements et de sons semblables à celui du verre qui s'éclate. Leurs corps fantasmés venaient de rencontrer le sol. Après un tel parcours, la première chose que releva naturellement la louve perdue ne fut pas une sensation particulière, mais plutôt l'absence de cette dernière. Il n'y avait ni douleur, ni sensation d'avoir été broyée par sa rencontre forcée avec ce sol froid, qu'elle devinait maintenant aussi humide que boueux. Puis, au dessus de sa tête, il y eut un tremblement tonitruant. Dans un fracas puissant, le plafond se perça, formant bien vite un orifice circulaire dans lequel elle vit aussitôt ce qui paraissait être un phare noyé dans la brume. Cette structure, à la fois infiniment lointaine et curieusement proche, vint alors projeter dans la grotte une fébrile lueur qui offrit enfin à la louve l'occasion d'apercevoir les détails du lieu dans lequel elle se trouvait.

    Le Repos de la Bête [Dactyle] 359cd03ba8c1c8bee6a3010496b25732

    "Dactyle... Aide-moi..."

    La voix de Rowena lui était parvenu mais le premier constat fut pour le moins inquiétant. Fébrile et déformé, le son lui était parvenu de loin alors que la main de la marionnette, pourtant, était toujours solidement accrochée à la sienne. Un simple regard en bias lui permit de découvrir non sans effroi que si effectivement, leurs mains étaient toujours jointes, le bras de Rowena avait été sectionné à l'épaule. A la jointure fragmentée du membre séparé du reste de son corps, il n'y avait ni sang, ni chair arrachée, seulement des fissures que l'on eut sans doute imaginé sur l'enveloppe d'une poupée de porcelaine. Au loin, la voix résonna encore :

    "J'ai essayé de te... protéger lors de ta chute. Mon enveloppe a été brisée. Peux-tu m'amener les pièces manquantes ? Peux-tu me reconstruire ?"

    En s'habituant à l'obscurité, la louve put sans mal déceler l'objet à l'origine des sons. Il ne restait du corps détruit de l'illusoire Limier qu'un torse ainsi qu'une tête partiellement fragmentée. Partout autour, les morceaux séparés du tronc se mouvaient timidement en grattant le sol comme de lamentables vermisseaux, cherchant sans y parvenir à se rassembler pour reformer la structure d'origine du corps. Le masque d'effraie, lui, était introuvable.

    "Fais-vite. L'ultime défi est devant nous. Nous n'avons pas une seconde à perdre..."


    Dans le monde réel, les choses avaient changé.

    Le corps physique de Rêve, brusquement décroché de celui de la rêveuse, avait été propulsé à plusieurs mètres. Se réveillant en poussant un cri strident, l'énorme volatile avait porté une main à sa tête blessée lors de l'explosion, dont l'épicentre paraissait être Dactyle elle-même. Se remettant à grande peine de ce violent assaut, le Prince stupéfait avait ouvert les yeux pour découvrir sans comprendre que le contact avait été rompu et que, plus étrange en corps, l'enveloppe de Dactyle flottait au beau milieu du bosquet. Toujours endormie, elle avait l'air apaisée, mais un frisson d'effroi parcourut l'échine du Voyageur. Son bec s'entrouvrit, et il murmura :

    "Non. Ce n'est pas... Cela n'aurait pas dû se produire."

    Se remettant de ce choc pour le moins surprenant, la chimère fila en serpentant jusqu'à la silhouette flottante de la guerrière. L'inspectant avec une précaution toute particulière, il porta ses mains jusqu'aux joues de la combattante et découvrit alors la froideur anormale de sa peau. Elle ouvrit la bouche pour expirer et, contre toute attente, un fin nuage de buée glaciale s'en échappa. Tâchant de rassembler ses forces et de concentrer sa magie, il découvrit avec horreur qu'il lui était désormais impossible d'établir le contact spirituel avec sa protégée. Malgré ce que cela impliquait, il devait se rendre à l'évidence :

    Sa place lui avait été volée.

    Durant leur périple infernal, il avait tenté de la prévenir, mais ses voix n'étaient jamais parvenues jusqu'à ses oreilles. L'apparition de la Gorgone, la violence des cerbères, les voix parasitant ses tentatives de communiquer et son incapacité à communiquer clairement avec la rêveuse qu'il avait juré de défendre. Tout, depuis le commencement du rituel onirique, avait semé des indices pointant dans cette ultime direction : ils n'étaient pas seuls à fouler les sentiers de l'esprit de Dactyle. Cet intrus, qui qu'il fut, avait désormais pris les commandes. Il n'avait pas retrouvé ses pouvoirs d'antan, les songes lui étaient encore inaccessibles et en humble explorateur de ces derniers, il ne pouvait se prétendre Prince.

    Ce fut dans un élan désespéré que Rêve, comprenant l'urgence de la situation, hurla brusquement tout en secouant le corps inerte de sa protégée :

    "Quoi qu'il te dise de faire, ne te plie pas à ses ordres ! Ignore-le, tu m'entends ? Fuis !"
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