L’information c’est le pouvoir.

Depuis son arrivée à Courage, Althéa avait travaillé à comprendre le milieu, et travaillé à développer son réseau d’informateurs. C’était une entreprise onéreuse, mais elle commençait déjà à en récolter les fruits lorsqu’elle apprit de l’existence d’une missive bien particulière. Elle ne payait pas de mine à la base, mais quand elle apprit qu’elle concernait les Ecailles Ecarlates - l’organisation de sa famille qui avait entièrement disparu un jour où elle était loin en affaires - elle savait qu’il lui fallait mettre la main sur ces informations.

Tout ce qu’elle connaissait, c’était son thème, sa méthode de transport, et son destinataire. Un noble Républicain qu’elle savait être réputé dans l’exploration maritime et la navigation, qui avait fait fortune dans les fournitures navales. Clairement passionné par le milieu qui l’avait vu devenir riche, Althéa fut surprise qu’il s’intéresse à un ancien gang. Surtout que pour qu’après deux années ce nom resorte, c’était qu’il y avait peut-être bien quelque chose derrière cette histoire. Quant au transport, c’était un coursier privé, un seul, censé transporter uniquement ce message là, en provenance du Reike. Très vague, vu la taille du continent, mais elle connaissait son destinataire, savait que l’information était assez importante pour être passée par un coursier privé, et certainement qu’il y avait une certaine paranoïa derrière un des deux partis.

Peu importait si l’information risquait de la mettre dans une montagne de problèmes, c’était peut-être sa meilleure piste vis à vis de sa famille depuis leur disparition - et vu à quel point la piste en question était chaotique, c’était dire à quel point les informations lui manquaient à ce sujet.

Maintenant, restait plus qu’à trouver le ou la rigolote avec la lettre, l’abattre, et récupérer le magot. Plus facile à dire qu’à faire, ils n’avaient certainement pas engagé non plus le dernier des connards pour le transport. Et il fallait déjà le trouver.

Althéa partit donc droit vers le lac Rebirth, plutôt une sorte d’immense piscine glorifiée pour elle qui venait de l’immensité de l’océan, malgré sa taille toutefois respectable. Elle n’était pas ce genre de poisson d’eau douce à aimer y tremper ses nageoires de tout de façon. Même à proximité de l’eau, s’éloigner ainsi de la mer lui donnait toujours ce pincement au cœur, mais cette fois-ci, cela en valait le coût. Enfin, elle espérait. Et au pire, elle irait cuisiner cette saleté de noble elle-même pour lui tirer les vers du nez.

Elle se posta donc en hauteur, en vue du lac, longue-vue en main et surveillant les différentes routes de son unique œil. Il n’y avait pas trente routes du Reike allant à Courage de tout de façon, et même la principale longeait les berges du lac. Ainsi, elle serait capable de couvrir toutes les routes avec assez de hauteur, sa vision améliorée, et surtout sa fidèle longue-vue qui ne l’avait jamais laissée tomber sur l’océan. En haut d’une colline ou en haut d’un mât au final, quelle différence?

Elle vit beaucoup de gens, évidemment, des voyageurs solitaires ou non, certes, mais surtout un qui attira son attention. Il avait l’air habitué aux longs voyages, peut-être un peu nerveux, et tout cas un bon profil de ce qu’elle cherchait. Pas juste un randonneur ou un aventurier avec son gros sac à dos se baladant. Non, lui voyageait léger, et n’avait pas l’air d’être un local.

Elle se coula donc à sa poursuite, arrivant à le rattraper à un bon rythme sur la petite route au bord des berges du lac. Agile, rapide, elle était néanmoins très peu habituée à la végétation terrestre, bien plus à l’aise en milieu urbain et aquatique, et il ne fallut pas bien longtemps pour éveiller la méfiance de celui qu’elle suivait.

Sa phrase ne laissait que peu d’équivoque quant au fait qu’il avait visiblement de quoi négocier. Ce n’était pas vraiment ce qu’on disait quand on ne transportait rien d’important si ce n’était quelques possessions personnelles et qu’on était sur le point de se faire racketter. Non, c’était des négociations d’un autre genre dans ce cas là. Maintenant, était-ce un piège? Ne ferait-elle pas mieux de simplement bondir pour essayer de l’éliminer de sa lame et ne plus en parler? Voulait-il qu’elle se montre simplement pour qu’il puisse se débarrasser d’elle?

Althéa décida tout de même de montrer patte blanche pour une fois. D’un saut, et d’un petit rebond sur un tronc proche qui craqua légèrement sous l’impact de son pied, elle se retrouva devant le brun qu’elle pu encore mieux analyser de son oeil unique. Son regard à lui d’ailleurs, lui rappelait fortement quelqu’un, mais ce n’était sûrement pas la même personne.

Althéa, elle, avait sa lame au clair, d’un métal pur semblant danser sous les rayons d’un soleil faible perçant difficilement les feuilles des arbres, mouvantes sous un petit vent frais. Sa tenue, son manteau, rappelaient encore un côté un peu marin et naval sans pour autant laisser d’indices évidents qu’elle venait de là. Sa posture était à la fois décontractée alors qu’elle avançait d’un pas lent, et tendue, analysant chaque mouvement, réaction, signe de magie ou autre entourloupe, prête à bondir comme un fauve rôdant en cercle autour de sa proie.

« Probablement. Qu’est-ce-que tu me proposes, comme affaire, donc? Qu’est-ce-que j’y gagnerai à te laisser vivre à part des emmerdes? »

Parce-qu’il pourrait très bien parler d’elle à quelqu’un, et lui permettre de remonter sa piste ensuite. Alors que si elle l’éliminait ici et maintenant…

« Comme je le dis souvent, pas de témoins, pas de problèmes. Mais tu as sûrement une idée derrière la tête, si tu dis ça, non? »

Un fin sourire étira ses lèvres, toujours en mouvement, son attention fixé sur le brun. L’adrénaline de la chasse commençait à courser dans ses veines, ou était-ce celle d’une négociation tendue? Ou d’une bonne affaire? Dans tous les cas, il avait de quoi la faire ronronner. Restait à voir ce qu’il allait en dire.

Impassible, Althéa observe le brun, et l’écoute attentivement. Pas très à l’aise, il a au moins l’air d’avoir la présence d’esprit d’essayer d’engager une discussion. Pas du genre à se mettre à terre et supplier pour sa vie, ni même à tenter de protéger ses secrets de sa vie. Bien. Le premier type de réaction l’aurait clairement énervée, et le second encore plus.

Néanmoins, elle n’était pas spécialement intéressée par une réduction moitié prix sur le coursier en question - elle préférait largement payer le prix fort et être sûre que sa lettre arrive à destination et entre de bonnes mains, sans passer dans de mauvaises mains entre-temps. Complètement ce qu’elle était justement en train de faire ici et maintenant, intercepter un courrier… Enfin, elle verra bien assez tôt.

Elle rigola sans gêne à sa seconde remarque sur les témoins. Il avait l’air de faire ce qu’il pouvait pour essayer de sauver sa peau, sûrement assez peu certain d’à quel point Althéa pouvait être redoutable.

« Ce qui m’importe surtout c’est que personne ne puisse remonter à moi, c’est pour ça que les témoins sont gênants… »

Après, si jamais les personnes de chaque côté de cette lettre étaient soudainement au courant de son implication, d’un autre côté, elle saurait d’où la fuite provenait. Et puis il y avait d’autres moyens de garantir le silence de quelqu’un, notamment avec un peu d’or. La véritable question ici était de savoir s’il valait cet or ou si faire couler son sang était plus facile.

« Ce qui m’intéresse, c’est les trois, à vrai dire. Je sais que la lettre provient d’un officiel du Reike. Son destinataire est flou mais rien qu’avec l’emplacement cela me donnera une piste à remonter également. Son contenu quant à lui… C’est surtout lui qui m’intéresse. »

La contrebandière reste immobile, sur ses appuis, sa lame au clair. L’échange, s’il part sur de bonnes bases au moins, reste tendu, alors qu’elle est toujours prête à bondir ou agir à la moindre suspicion de fuite de sa part, ou d’illusion ou autre entourloupe magique. Heureusement pour lui comme pour elle, son oeil affuté ne décèle rien de tout cela.

Elle haussa un sourcil à sa remarque, un fin sourire étirant ses lèvres. Il était vrai qu’avoir un coursier dans sa poche prêt à lui divulguer des courriers importants contre une rémunération plus ou moins généreuse pouvait être intéressant, même si ça lui demandait de mal faire son travail. Ou encore, en tant que voyageur, peut-être avait-il des informations intéressantes à vendre? Elle n’allait pas spécialement le presser sur ces points là, elle avait déjà envie de savoir ce qu’il avait à lui proposer, et ce, sans même la connaître. Même si cette introduction pouvait peut-être lui donner une bonne idée de ses activités.

« C’est quoi ton nom? Et qu’est-ce-que tu me proposerais pour devenir cette carte maîtresse? »