Les doutes et interrogations qui naissaient dans l'esprit du Voyageur semblaient transmises en un flot continu jusqu'aux pensées d'Halewyn, ce dernier contournant les épineux sujets avant même que Rêve n'ait le temps de les aborder. Plongé dans un respectueux mutisme, la créature onirique se contentait donc d'acquiescer religieusement face à chaque affirmation du créateur. Sans même y penser, il se contentait de tracer à l'aide de son index griffu des motifs circulaires sur la main ouverte d'Halewyn mais, malgré son calme apparent, il était en proie à la plus totale confusion.

"Mon nom ?"

Voilà un défi bien au delà de ses compétences. Rêve, comme bien des êtres issus de plans différents de ceux des mortels, disposait d'une connaissance ainsi que d'une compréhension limitée de certaines notions restrictives qu'avaient instauré les êtres conscients. Nommer, par essence, consistait à restreindre. Dans l'univers du prince exilé, chaque chose possédait une essence variable, éternellement changeante, chaque être pouvait adopter diverses formes au gré du temps et parfois même exister simultanément sous différentes enveloppes. Tout avait une substance, mais pas le moindre grain de sable ne conservait plus de quelques instants son actuelle nature. C'était notamment pour cette raison qu'il n'était jamais parvenu à se trouver un nom fixe et, en l'absence d'un créateur défini, la chimère se contentait donc de s'adapter aux surnoms que lui offraient ceux qui croisaient sa route. A ce sens, la requête d'Halewyn lui paraissait tout bonnement impossible à satisfaire.

"Je crois que... je n'en ai pas. Ou plutôt, que j'en ai trop ? Aucun des noms que l'on m'a donné depuis ma conception ne semble plus ou moins réel qu'un autre. Comment as-tu défini ton propre nom, créateur ?"

C'était peut-être là que se situait la réponse. La révélation se fit lorsque la créature onirique prononça le dernier mot de sa phrase. C'était l'artiste qui titrait ses peintures et l'Empereur qui nommait son Empire. Même si Halewyn n'était pas la seule entité ayant participé à sa conception, peut-être était-il celui qui obtenait l'ultime décision à ce sujet ? Les yeux toujours plongés dans ceux de l'original, la copie conclut donc :

"Je pense que c'est toi qui dois me nommer. Je ne veux pas perdre mes autres noms, mais j'en aimerais bien un nouveau qui vienne de toi. Peut-être aura-t-il ce pouvoir dont nous avons besoin ?"

Comment ais-je défini mon nom? Repris Halewyn, calme. ŀa paternité lui seyait bien iel trouvait. - Je l'ai toujours su, du moment ou l'étincelle de ma conscience a jallis dans les Ténèbres du chaos. Je vois que encore là, tout doit être différent d'un individu à l'autre. Peut-être que toi, Voyageur, ton royaume étant les Songes, tu n'a pas eu la nécessité de retenir ton nom. C'est aussi bien, tu restera toujours libre donc. Evanescent dans les brumes du sommeil. C'est poétique je trouve, n'est ce pas?

Iel succube marqua un temps de pause, bercé par le bruit des gouttes résiduelles de la pluie qui diminuait au dehors. D'une caresse désinvolte, elle créa une chaleur confortable autour d'eux deux. Ce n'est pas parce qu'elles sont dans une caverne humide à se faire des calins qu'il faut négliger son confort tout de même. Ce geste eut l'heureux résultat de rendre encore plus intime leur étreinte, leur discussion prenant un tour des plus inattendus.

Attendez, il veut qu'iel la nomme? Iel est sérieux là? Mais toujours dans ses caresses, Haleyn ne sent aucune duplicité Aussi se donne t'iel le temps de réfléchir sérieusement à la question. Il est vrai que ce démon là, iel l'a balancé dans le monde et pas de la plus agréable des facons semblerait til. Iel en a perdu la moitié de ses pouvoirs et de son identité au passage. Soyons clair, Halewyn n'a aucun reord. Ce sentiment c'est bon pour les mortels. Ce n,est peut-être pas son meilleur coup, ou peut-être que si. En un sens c'est lui qui a invoqué cet infortuné. Ce qu'il fera de son éternité lui appartient. Et ca ne lui dérange pas du tout d'incarner son garde-fou en fait.

La voix de soupir reprend.

Je ne sais pas si ca a une quelconque valeur ou pouvoir, mais pour moi, tu es mon petit Marchand de Sable. Le commun des mortels te voient tel un Rêve ou un Cauchemar, pour moi, tu es celui qui les apporte et les forge. Je vais traiter le nom que je viens de te donner comme ton vrai nom. Je ne dirai à personne, j'en fais la promesse. Pour tout les jours, je te nommerai Rêves. Cela te plait t'il mon ami?

"Marchand de Sable..."

Etre enfin nommé par le créateur fut si gratifiant que le Voyageur esquissa un sourire enfantin tout en opinant du chef en guise de réponse. Il y avait beaucoup de vrai dans les dires d'Halewyn, aussi Rêve acceptait sans mal cette nouvelle appellation qui semblait lui convenir à merveille. Plutôt qu'une réponse orale, l'entité chimérique offrit à son interlocuteur une chaude embrassade en guise de remerciement, car un cadeau d'une telle importance ne pouvait qu'être chéri à sa juste valeur. Les doutes qui avaient été éveillés en lui subsistaient encore, toutefois le bonheur procuré par cette rencontre effaçait les inquiétudes occasionnées par toutes ces nouvelles données qu'il peinait encore à assimiler.

"Ce sera l'un de nos secrets, alors."

Sur ces mots, Rêve se détacha doucement d'Halewyn et se redressa mais, lorsque son pied foula le sol, il se métamorphosa pour reprendre sa forme d'origine, lui rendant serres et plumes tout en s'allongeant à vive allure. En quelques secondes, la transformation gagna tout le corps du prince des Songes et lorsqu'il pivota pour faire face au second Démon, ce fut à nouveau sous son apparence première, à mi-chemin entre l'Homme et le volatile. Tout en faisant les cent pas dans la grotte obscure, il réfléchissait et assimilait chaque propos de cette rencontre hors du commun qui, de bien des manières, avait profondément changé sa perception du monde réel. Après ce silence momentané, il se tourna vers Halewyn et leva l'une de ses mains, étirant ses griffes acérées avant de refermer d'un geste vif la serre de son pouce contre son propre index.

Perçant son propre cuir sans sourciller, il dévoila la plaie qu'il avait volontairement causé pour se plier au directives de son créateur. De sa blessure, un peu de liquide s'écoula aussitôt mais cette essence vitale, tout comme l'ensemble le reste de son organisme, n'avait rien de classique. Le sang de Rêve, noire comme la nuit de prime abord, adoptait alors qu'il se révélait diverses teintes et textures et semblait, comme son corps, parsemé de reliefs et d'arabesques multicolores qui changeaient perpétuellement de forme et d'intensité. Après avoir longuement observé cette manifestation qu'il découvrait en même temps que son sculpteur, il se rapprocha d'Halewyn et lui tendit sa main meurtrie, offrant dans ce pacte son absolue dévotion, comme ils en avaient convenu quelques instants plus tôt. Tout en toisant intensément son interlocuteur, Rêve reprit :

"Scellons donc notre accord, père/mère."

Il paraissait désormais bien plus sûr de lui dans sa décision, comme si ce nouveau nom avait été accompagné d'un regain de certitude quant à ce choix plein de risques. Perdait-il réellement sa liberté, en s'offrant ainsi à cet être dont la sagesse ne pouvait être ignorée ? A bien y songer, c'était peut être tout l'inverse. Emprisonner sa violence intérieure au creux de la main d'Halewyn était sans doute la solution à ses ennuis, car la rupture de l'équilibre si cher à son coeur était, au final, sa seule peur légitime.

Pendant que son marchand de Sables faisait les cents pas, Halewyn l'admirait tout en reprenant sa forme originelle lentement. Sensible à l'esthétique de sa facon particulière, iel ne pouvait qu'apprécier le miroitement des plumes, le déhanché naturel et sans efforts, les serres qui se meuvent silencieusement.

Magnifique, tout est magnifique. Comment, mais comment une telle créature peut-elle arpenter le Sekai? Ils ne sont pas prêts et ils vont finir par vouloir la chasser. Ce qui va être intéressant èa regarder. Non, votre démon favori nest pas amoureux, il contemple juste  ce qui est pour iel la perfection physique de son espèce et, avouons le, iel est un peu jaloux. Iel n'a rien d,extraordinaire, son cuir est aussi fragile que celui des mortels, SØn invocateur n'a jamais pu se décider si iel était homme, femme, rien... alors il a décidé pour tout. Aussi magnifique soit t'iel, iel ne l'est que selon des standard éphémères.

Iel aimerait avoir ces grandes ailes duveteuses, ce déhanché naturel, cette posture prédatoriale. Mais bon, ce sentiment passe vite, pendant qu'iel examine attentivement son Marchand de sable. Iel, parce que son vis à vis est aussi un iel, probablement projection physique de son rêve, a la morphologie parfaite pour sa mission en ce monde.
Quand la serre perfore le cuir du doigt, tel le dieu qu'iel a incarné iel succube se lève de son trônr de pierre. endant un instant, autour deux, les ombres s'agitent follement avant de se fixer sur un paysage infernal et qu'Halewyn, magnifique et nu, ne s'avance vers Rêve d'une démarche prédatoriale qui fait scintiller ses bijoux de naissance qui sont entroulés sur son cou, ses hanches, jambes et poignets, suspendues dans ses cheveux. , les iris du plus pur carmin, rehaussant parfaitement sa chevelure dénouée qui s'égaille en tout sens, mouvante et souple comme des serpents.  

Instinctivement,  son confrère démon sait. Iel sait les cris de douleur, de détresse et de folie emprisonnées dans chaque minuscule rubis, les larmes de bonheur, de deuil et de souffrance sertis dans chaque saphir. Chaque bille d'os incarnait la folle dévotion de ses fidèles. La cruelle justice et la vengeance brillait dans celles d'acier. Autour d'eux, ils ne pouvaient l'entendre, vibrait dans leur os les cris de tout les sacrifiés au fil des siècles précédant la naissance d'Halewyn. Chaque bille représentait un pacte. Derrière iel, d'ailleurs, apparu deux rangées de crânes flanquant l,ouverture d'un arbre séculaire, immense. Derrière, une antique pierre tachée de brun.

D'une main douce, avec une grâce infinie, iel succube préleva la goutte de sang offerte. Une pierre d'opale noire se forma au dessus de sa main, se solidiant lentement.

Les yeux dans les yeux, insensible à leur différence de taille, iel succube se pencha pour lécher le doigt entaillé, prenant un peu de ce précieux fluide sur la langue. Et il goûtait différent de tout ses pactes précédants. Iel en ressenti un frisson d'une luxure pure qui lui donna une superbe érection magistralement ignorée.

-Ainsi soit t'il Marchand de Sable.

Le formidable rituel ayant enfin connu sa conclusion, Rêve retourna à la réalité. Lors de l'accomplissement du pacte, Halewyn avait exercé sur lui une pression qu'on eut qualifié d'hypnotique, car pas un seul instant le Voyageur n'avait su détourner ses yeux de chouettes du faciès malicieux de son créateur. L'index tendu, Rêve s'était montré impeccablement docile et parfaitement immobile durant l'ensemble du processus, laissant même à son vis-à-vis la possibilité de gouter à sa peau et son sang sans même sourciller. Ce ne fut que lorsque Halewyn brisa le silence et reprit la parole que le Marchand de Sable s'autorisa à reprendre possession de son corps qui, curieusement, paraissait engourdi par pure ferveur.

Rêve recula d'un pas car, du bref contact qu'il avait connu avec la langue du second Démon, une foule d'émotions et de sensations lui étaient parvenus. Le prince pensait avoir connu, durant ses sempiternels voyages, les plus folles démonstrations d'absolue luxure. Rêve concevait seulement maintenant à quel point il était loin de la réalité, n'ayant jamais ressenti de frisson équivalent à celui qu'il venait de partager en compagnie de l'être responsable de son invocation. Même pour une créature aussi ancienne que lui, composée exclusivement de ces énergies ainsi que de magie brut, un tel ouragan avait quelque chose d'étouffant. Sans même s'en rendre compte, le Voyageur avait poussé un bas roucoulement et s'était empressé de saisir sa main faiblement meurtrie, la massant doucement comme pour chasser peu à peu les vibrantes sensations qui s'était emparées de lui lors de leur Pacte. Après un silence appuyé, la bête aux plumes étincelantes répondit avec conviction :

"Je te remercie. Mon cœur est désormais tien, créateur."

Quelque part sur son corps couvert d'étoiles, une nouvelle constellation s'était formée. Divers points rougeoyants, reliés les uns aux autres, formaient un arc qui évoqueraient à jamais ce jour lors duquel Rêve avait fait la découverte de l'être le plus fascinant qu'il lui ait été donné de rencontrer. Malgré le calme et la passivité qui enrobait ses propos, le Voyageur ne parvenait pas à dissimuler les claquements nerveux de sa queue, révélant sans mal cette agitation intérieure qu'il n'était pas tout à fait capable de museler. Au delà de la bête luxure humaine, il y avait désormais entre eux un lien d'une force indéchiffrable, une union fusionnelle que le Prince lui-même ne savait parfaitement définir. Un véritable amour dont les contours ne pouvaient être dessinés par les outils de l'Homme car il n'était ni celui d'un parent, d'un frère ou d'un amant. Cette attraction que ressentait Rêve à l'égard d'Halewyn, mystérieuse et dénuée de nom, était un charme d'un genre nouveau. D'un bond élégant, mais également vif et précis, le volatile géant fila jusqu'à son créateur et lui offrit une ultime embrassade à la fois forte et profondément intime. Son bec s'entrouvrit et il glissa dans un murmure furtif :

"Tu as chassé ce brouillard qui rendait mon jugement si imparfait et confus. Je me sens plus... complet, maintenant"

Tâchant de ne pas laisser ses émotions le dépasser au point d'enfoncer par mégarde ses griffes dans la peau d'Halewyn, Rêve retourna sur ses pas pour marquer un peu de distance entre lui et l'être auquel il venait de se dévouer, comme s'il craignait de le dévorer par instinct prédateur. Comme il était curieux pour lui de vivre ce trop-plein d'affection qui, paradoxalement, manquait de le pousser à la faute. Le regard de la créature se reporta sur l'extérieur de la caverne et par extension, sur le tableau somptueux que dépeignait l'orage fougueux du monde réel. Ces vents et cette pluie battante lui rappelaient qu'après ce moment incroyable, sa quête l'attendait toujours.

Mais maintenant, il savait où aller.

Reculant d'un pas, altier, Halewyn assiste avec délice du chant du Marchand de sable tandis que les illusions autour d'eux perdent en intensité pour ne garder qu'une toile vierge de ténèbres issue de l'essence même des deux entités. Iel sont les ténèbres mêmes en cet instant, enfants de Gardiens...,  ŀes cheveux de votre succube favorite dansent allègrement dans le vide, comme douées d'une vie propre. Antique seigneur qui tient bien nichée dans sa paume une superbe opale noire aux reflets célestes et mouvants.

Fascinant, se dit Halewyn avec ravissement tandis qu'iel expérimente pour la première fois els sensations associées à un pacte avec un de sa propre espèce. La douce chaleur de la satisfaction du travail bien mené monte dans sa poitrine et un début d'idée dangereuse  pour les mortels menace de traverser son cortex avant d'y retourner grâce à la diversion de Rêves.

Et quelle belle facon de se changer les idées, que ce doux bruissement d'aile et de plumes caudales, ce roucoulement enjôleur tandis qu'il se frotte la main pour y chasser l'intense sensation qu'Halewyn a instillé en iel. Iel est plein de sensuelle tension, c'est visible à la vibration particulière  de la queue et à l'inclinaison particulière de cette magnifique tête. Spontanément, son conpatriote vient chercher un câlin, emportant dans un léger rire et un bruissement de plumes plus exprssif que le plus éloquent des discours humains iel succube dans ses bras pour une embrassade des plus intime que les esprits mortels, et une bonne partie des démons physiques, ne pourront jamais concevoir.

Leurs essences se dissolvèrent un moment, iels deux étant tout de même et encore les ténèbres.

La magie de ce pacte finit par s'amenuiser et ramena les deux démons dans le plan matériel. Halewyn échevelé accompagna Rêves qui regarda dehors, les deux entités regardèrent longuement l'orage dévastateur qui ravagea les environs cette nuit là.

Alors va et découvre le monde, Marchand de Sable. N'oublie juste pas que mon Sanctuaire est à Justice.